

Chapitre 12 : Une idylle au fusain
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Chapitre 12 : Une idylle au fusain
Les jours suivants, je me rends au bureau avec une certaine appréhension, alors qu’en temps normal, c’est précisément le seul endroit du monde où je peux, enfin, poser mon cerveau, huit heures par jour. Ce type, que je n’avais pas prévu dans mon décor, ébranle mon armure patiemment forgée, m’oblige à rester sur le qui-vive. Comme un fait exprès, sans que je ne sache si elle pressent mon trouble maquillé et essaie de jouer les marieuses sans que je ne lui aie rien demandé, ou si c’est simplement par praticité de mettre les nouveaux à portée de voix de la mercenaire téléphonique du contrôle automatisé que je suis devenue par la force des choses, Sandra l’installe à une enjambée de mon bureau. Il est là, si proche que je pourrais presque le toucher. Son siège, en quinconce du mien, à un mètre, peut-être deux. Quand je suis assise à mon poste, je le vois de dos. De dos, ce n’est pas dangereux, si ? Pourtant, il me met mal à l’aise, me gêne dans ce qui, au fil du temps, est devenu une routine sereine, sans surprise, sans coup au cœur. Depuis son arrivée, je me sens gauche, tendue, déstabilisée.
Dorian possède ce je-ne-sais-quoi qui me bouleverse de l’intérieur. C’est un beau garçon, à n’en pas douter, mais au-delà de son physique d’Adonis, il semble auréolé d’un charisme particulier qui réveille au creux de moi des émotions interdites. Sa démarche souple et confiante donne l’impression qu’il foule la terre comme si elle lui appartenait, tout en la remerciant à chaque pas de le porter. Ses cheveux toujours hirsutes, ses fringues jamais repassées lui donnent un air négligé tout en le rendant terriblement touchant, émouvant. Dans son apprentissage de notre job, il est attendrissant, aussi. Il chancelle sous les cris, s’émeut de la détresse, la fait sienne comme je le faisais autrefois, avant d’apprendre à me blaser pour survivre, pour dormir un peu, pour ne pas surveiller mes arrières ou la Une des journaux, rubrique faits divers. Chaque matin, je craignais qu’un contrevenant ne craque, désespéré, et mette à exécution les menaces dont nous sommes quotidiennement abreuvés, avant que je ne sache prendre la hauteur qui m’a souvent manquée par le passé. Il me rappelle ce que j’étais il y a quelques années, me le renvoie en écho, sous les traits virils d’un mec bien dans ses baskets. Un type que la vie a su épargner jusqu’à présent. Il émane de lui la légèreté et l’insouciance d’un éternel adolescent, une fraîcheur qui allège l’air des murs gris qui nous encerclent, comme si sa seule présence suffisait à les dépoussiérer. Quand je suis près de lui, c’est un peu comme si j’étais gagnée par une fébrilité presque maladive. Comme si je tremblais en dedans. J’essaie d’endiguer ce sentiment, de recouvrer mon self-contrôle, de faire baisser la fièvre, mais alors sa voix s’élève et je succombe… C’est insupportable. Le pire, c’est qu’il semble sans cesse chercher ma présence, trouve des prétextes pour me parler, s’intéresse à ce que je fais dans l’ombre de mon double-écran, de ce que j’écris, de ce que je lis. Il s’arrange pour partir en pause, en même temps que moi, son discret nouvel ami, Aymeric sur les talons. Et tout doucement, avec grâce et délicatesse sans forcer, il s’impose dans ma vie si bien huilée, franchit toutes mes barrières savamment érigées et me devient, chaque jour après l’autre, presque essentiel. J’essaie de dissimuler cet attachement naissant sous les traits de l’amitié même si je sais, à l’intérieur, qu’il s’agit d’un désir qui ne veut pas dire son nom. J’ignore si Dorian perçoit le combat intérieur que je me livre. Il fait mine de rien.
Pianissimo, je sens son regard se poser sur moi, timide mais insistant, faisant subtilement rougir sa peau de lait. Son émotion devient presque tangible à chaque fois que j’arrive ou que je m’en vais. Son sourire s’illumine dès que j’apparais, et son trouble se révèle lorsque je me penche par-dessus son épaule pour l’aider avec un dossier. Sa respiration se suspend en un souffle retenu, et c’est une douce addiction, un envoûtement subtil. Au gré des pauses et des déjeuners, on se raconte, on se confie, on s’attache, se lie. Les gens autour commencent à chuchoter et à nous envoyer des sourires de connivence. Je les ignore, leur renvoyant, en boomerang, un mépris indifférent en pleine face. Avec Dorian, je me sens renouvelée, légère, presque insouciante. Comme si j’étais revenue des années en arrière, dans un autre espace-temps, où il n’y aurait pas toute cette noirceur, cette boue collée à mes talons. Lui, c’est un artiste, et quand il est suffisamment aguerri à notre métier de téléconseiller, il fait comme chacun de nous en ces lieux : il occupe ses mains et son esprit tandis que sa bouche débite les phrases sues par cœur, les scripts appris sur le bout des doigts. Quand Françoise tricote des bavoirs, que Lisa drague sur Meetic et que j’écris des textes que personne ne lira probablement jamais, Dorian, lui, dessine. Et même sacrément bien. Son bureau se transforme en un capharnaüm de pastels, d’encre et de fusain. Des esquisses recouvrent sa table, ses doigts sont tachés de couleurs. Je me laisse attendrir encore plus, si c’est possible, devant son visage qui passe, tour à tour, de l’homme à l’enfant, absorbé des heures durant à perfectionner un dégradé ou la profondeur d’un regard. Et je m’invente des prétextes pour me déplacer à l’imprimante ou au bureau de Sandra, espérant apercevoir la lente danse de ses doigts sur le papier Canson. Dans un frisson interdit, j’imagine ma peau devenir son canevas, chaque trait de crayon une caresse, chaque ombrage un murmure sensuel.
L’été s’est installé, les peaux se dévoilent, les soirées s’allongent et s’éternisent parfois tard dans la nuit. Nous prenons l’habitude de nous retrouver quand Fleur est chez son père. De pots en terrasse aux soirées chez ses amis, Dorian m’invite partout. Il me présente en disant : “Tu sais Juliette, je t’ai parlé d’elle !” sans que je sache réellement de quelle manière il m’a introduite, même si, au fond de moi, je le pressens. Évidemment.
Chaque fois, il me raccompagne jusqu’à ma porte, en parfait gentleman, m’embrasse sur la joue et je sens la chaleur de ses lèvres s’attarder un peu plus chaque soir. Le plus difficile pour moi reste de le toucher, de franchir cette invisible barrière qui nous sépare encore. Quand nos doigts se frôlent autour d’une cigarette ou d’un verre, ou sur le col de son manteau, dont il me drape si l’air se fait frisquet, je pourrais perdre la raison. Ma peau s’électrise, mon cœur s’affole, j’ai à nouveau quinze ans et je rêve d’un premier baiser. Mais Dorian est plus jeune, il n’a pas d’enfant, il est libre comme le vent, sans casseroles qui le clouent au sol, rien ne l’a encore profondément écorché. Et si je m’y attache, si je m’autorise à en tomber amoureuse, qu’adviendra-t-il alors ? Qui de nous deux fera du mal à l’autre ? Qui de nous deux en portera les stigmates ?
Depuis une semaine, sur le plateau, il semble totalement absorbé par un dessin qu’il cache dans sa pochette à chaque fois qu’il quitte son bureau. Je le vois courbé sur sa table, presque couché, comme s’il épousait son papier Canson, fusionnait avec lui. Sa chemise laisse deviner la définition de son dos, ses muscles roulent sous le textile, comme s’ils dansaient lentement au rythme de ses coups de crayon. Une fois encore, le tsunami de chaleur que ce garçon suscite en moi se propage et ondule le long de mon flanc, dans ma chute de rein, se niche dans mon ventre et irradie mes cuisses. Je pourrais me gifler rien que pour ça, mais quelle gourmandise, décidément. Curieuse, je l’interpelle pour lui demander ce qu’il fait. Il rougit, détourne le regard et me lance le sourire innocent d’un gamin pris en flagrant délit de bêtise. Intriguée, je me demande pourquoi il me cache son travail, alors que, d’ordinaire, il n’hésite pas à me montrer tout ce qu’il griffonne. Ma curiosité est piquée. Je guette le moment fugace où je pourrais entrapercevoir son œuvre, prenant les appels debout pour essayer de voir un visage s’esquisser. Mais il est maître dans l’art de l’esquive, et puis, un après-midi, alors que nous quittions ensemble le bunker, il m’invite à dîner le samedi suivant dans la colocation qu’il partage. Je sens qu’un changement est imminent. Ses colocataires sont comme une famille pour lui, et en me conviant à les rencontrer officiellement, c’est comme s’il exprimait silencieusement le souhait de m’intégrer pleinement dans son cercle d’intimes. J’en ai déjà croisé certains lors des soirées où il m’a conviée, mais cette rencontre revêtait à mes yeux un visage presque solennel, presque intimidant.
Le samedi en question, vêtue d’une jolie petite robe fleurie, je monte les escaliers de bois menant à la colocation. J’ai dû me changer mille fois, peut-être… William est passé chercher Fleur en sortant de son centre d’appels, en fin d’après-midi, et, à peine la porte refermée, marquant le début de leur week-end, je me suis transformée en une véritable tornade dans le dressing, essayant une multitude de tenues avant de trouver celle qui me ferait me sentir parfaite, ou presque. Pas trop décolletée, faut peut-être pas déconner ! pas trop court non plus… Quel message je veux envoyer, EXACTEMENT ?!!
Même moi, je ne pourrais le dire réellement. Je sais juste qu’à cette minute, l’attente de ce rencard qui ne dévoile pas vraiment son nom me fait vibrer et trembler en même temps. Et c’est exaltant. Littéralement. Je crois que c’est précisément l’incertitude de ne pas savoir ce qui nous attend, de ne pas tout à fait comprendre ce que l’on ressent au fond, qui rend ces instants presque magiques. J’avais perçu qu’un infime détail avait changé dans l’attitude de Dorian vis-à-vis de moi. Une forme de routine silencieuse était née entre nous. Plein de petites attentions : un café noisette sur mon bureau à mon arrivée, une rose en bonbon sur mon clavier le jour de la Sainte-Juliette, des gestes galants, discrets mais touchants. Et puis, la place qu’il avait prise, doucement ; sa joue contre la mienne quand on se disait au revoir, son invitation presque balbutiée.
Je pressentais que nous flirtions, sans doute, avec les barrières que j’avais imposées dès le premier regard croisé. Mais leurs contours s’étaient floutés, et je crois qu’après tous ces longs mois de stress, d’angoisse et de pression sur mes épaules, j’avais juste besoin de ressentir des frôlements de papillons. Ne plus réfléchir, me laisser porter, juste un peu, pour changer. Être simplement une femme qui profite de ses heures perdues sans être uniquement une maman. Lâcher prise, juste pour voir. Et c’est précisément ce que j’ai fait. Un dernier regard dans mon poudrier avant de dévaler les marches des escaliers, puis, quelques minutes plus tard, de grimper une autre volée
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