— Nous ne sommes que la somme de ce que nous sommes, balança Chapelle tandis qu’un éclair accompagnait la pluie qui battait les fenêtres et la maçonnerie du bâtiment.

— Très juste, répondit le Commissaire.

Le mouvement de rouages qui venait de s’opérer chez le patron, son adjoint et le dépressif, trouva écho parmi le reste de la brigade. Notre meurtrier avait pris le temps d’évaluer le Commissaire, ce nouvel adversaire inattendu, habitué à traiter des cas plus complexes que les vols à la roulotte et les rixes d’ivrognes. Jusque là, ça allait. Mais qu’il utilise un marginal prêt à s’impliquer jusqu’à la prison, puis le fasse éliminer quelques mois plus tard, relevait d’un autre registre.

Ce n’était à priori pas pour masquer sa fuite, puisque tous les enquêteurs pensaient pouvoir le retrouver facilement. Au pire, à son domicile. Alors pourquoi diable avait-il donc besoin de les occuper ?

— Chapelle, vous partez à Vallon-Pont-d’Arc. Passez en revue tous les dossiers de la gendarmerie juste avant et juste après le quadruple meurtre. Même les trucs les plus anodins.

— Surtout les trucs les plus anodins, peut-être ?

— Vous lisez dans mes pensées, Maxime. Mandolini vous aidera. Ensuite, vous emportez le tout chez Vellasquez. Elle a l’œil.

— Elle est en congé, ô vénérable chef.

— Elle aidera. Pensez à lui apporter des papillotes.

Raquel Vellasquez n’a pas son pareil pour mettre le doigt sur les détails qui clochent. S’il y avait quelque chose à trouver, elle le trouverait. Ceci dit, même avec des papillotes pour l’amadouer, elle s’était fait une autre idée de son congé maternité. Mais le Commissaire ne le saurait jamais. Demesy fait partie de ces hommes qui attirent naturellement un dévouement sans faille. Si ce genre de lien ne rend pas plus facile en soi la tâche ingrate d’un commissaire, il peut néanmoins en donner l’impression.

L’agent Edgery intervint :

— Dites ! Et si le choix de placer Di Bacco sur notre chemin était une allégorie ?

— Une allégorie, s’étonna le Commissaire ?

— Oui, pour nous dire en quelque sorte qu’il est un imposteur. Le surnom de Ralph Di Bacco, c’était bien “le Singe” ? Au cours du XVIIe et du XVIIIe siècle, on considérait le singe comme une figure du double trompeur.

— C’est pas mal, Tom. Mais ça ne sera pas forcément d’une grande aide pour retrouver le coupable. Par contre, je te propose de travailler plutôt la piste du BAFA de deux des victimes. Hélène t’expliquera ce qu’elle a déjà trouvé de son côté. Tu iras peut-être faire un tour du côté d’Avoriaz où l’un deux a été moniteur de colo, si ça peut faire avancer le schmilblick. Je suis certain que découvrir le pourquoi, nous aidera à attraper le qui.

—Bien, chef !

— Côté cercueil, qu’est-ce qu’on a, Hélène ?

— À par le prix incohérent avec les moyens de la vieille, presque rien. L’employé des pompes funèbres n’était pas fichu de nous donner une description de la personne qui a payé. D’après son patron, le mec s’assomme de calmants pour supporter son boulot qu’il va bientôt perdre, justement parce qu’il s’assomme de calmants.

— Gastelier, c’est un sujet pour vous. Antécédents médicaux, réseaux sociaux. Vous me trouvez une faille du bout de votre clavier et on l’exploite à fond pour lui tirer les vers du nez.

— De mon côté, j’ai rendez-vous après déjeuner pour l’histoire des pleines lunes, intervint Luc Renault. Mais ça ne devrait pas me prendre la journée. Si vous avez autre chose à me confier.

— Pas de soucis, Capitaine. Restez concentré sur le retour du Petit Poucet.

— Les pleines lunes, interrogea Hélène ?

— Oui, le nouveau meurtre attribuable au Petit Poucet coïncide avec des événements survenus aux deux dernières pleines lunes, expliqua Renault. On pense qu’il y a un lien qui pourrait se confirmer avec celle de janvier.

Le Commissaire ne releva pas le “on” et se tourna enfin vers Juste et William qui n’avaient pas encore leurs ordres.

— Ne négligeons pas notre invité du jour. Il sera certainement ravi de nous éclairer sur l’élimination de Di Bacco.

L’inspecteur Clément fit signe à Rozenkreutz de le suivre en salle d’interrogatoire. Ces deux-là ont une aptitude particulière à extraire le jus des citrons les plus secs. Leur méthode bien rodée s’accompagne d’une gestion éco-responsable de la caméra, en phase avec les objectifs de limitation du réchauffement climatique. Elle demande toutefois d’être en forme et de bien s’hydrater car l’interrogateur doit s’y investir vraiment. Et comme on s’approchait dangereusement de l’heure de l’apéro, Juste Clément sortit une bouteille de blanc. Le lieutenant, qui ne buvait plus, se contentait de fixer le surineur assis à l’autre bout de la salle d’interrogatoire.

— J’ai deux passions dans la vie, expliqua l’inspecteur avec un naturel déconcertant, les interrogatoires et l’apéro. Ma femme, c’est plutôt Stephen King. Hier soir, elle a voulu qu’on regarde le dernier « Ça ». C’est pas mal, mais je préfère les films de loups-garous. C’est fascinant les loups-garous. Tu te fais mordre un soir de pleine-lune et paf ! Tu deviens un loup-garou.

— Oui, ça marche si tu te fais mordre par un loup, intervint Rozenkreutz. Imagine que tu te fasses mordre par un hamster ou un lapin. C’est pas pareil.

— Tu as raison, confirma l’inspecteur Clément en se servant un verre.

— Et quand vous êtes ivre, vous frappez les prévenus, demanda Louis Teyssier menotté à sa chaise, à l’autre bout de la salle d’interrogatoire ?

— Ce n’est pas déontologique, répondit le lieutenant qui le fixait toujours sans discontinuer.

— Arrêtez de me regarder comme ça !

— Ça te met mal à l’aise, demanda l’inspecteur Clément ? Il ne tient qu’à toi que ça finisse vite.

Et finalement, cela dura quelques heures avant que Teyssier ne donne les infos demandées. Forcément, le timing était suffisamment mauvais pour que le gardien qu’il venait de balancer ait déjà rencontré son destin, directement projeté du canon d’un neuf millimètres. Plaie d’entrée, plaie de sortie. Bout portant. Des projections plein la voiture. Heureusement, la pluie s’était calmée, facilitant un peu l’examen de la scène de crime.

De quoi mettre Demesy de bonne humeur…

— On fait quoi, maintenant chef, demanda Clément ?

— On va passer un coup de fil à un ami.

Hélène les observait depuis la voiture. Le Commissaire alluma un Montecristo tandis qu’une nouvelle averse bien froide décidait d’appuyer le côté dramatique de la scène. Comme s’il n’avait déjà pas assez plu comme ça toute la journée ! Demesy fit signe d’enlever le corps en marmonnant.

— Quoi, demanda Clément ?

— Je disais “quel merdier” !

Crédits : Photo de couverture par Craig Whitehead

Carte interactive "Les Enquêtes du Commissaire Demesy"

Notice de transparence : Œuvre originale protégée par le droit d’auteur et horodatée. L’auteur en interdit formellement son utilisation à des fins d’entraînement d’IA, sans limite de territorialité et de temporalité.

Œuvre littéraire écrite sans IA

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Jouez avec l'Egorgeur

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Attrape-rêves.

Remerciements :

Amélie Rollet

Barbara Wonder

Stéphanie Muriot

Alexandre Leforestier

Nymphéa