

La Voie des Dragons - Chapitres 2 et 3
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La Voie des Dragons - Chapitres 2 et 3
2. Le Prince de Shama-Taya
Le prince Silqat ferma la porte en silence. L’aube pointait à l’est. Avec un peu de chance, personne ne se serait aperçu de sa cinquième absence en deux jours. Depuis que Tahiya l’avait appelé dans la crique pour secourir la jeune femme, il avait multiplié les allées et venues entre la tour et le château.
Silqat était soulagé qu’elle ait enfin rouvert les yeux. Son corps était si froid quand la dragonne l’avait déposé, il avait craint qu’il ne soit trop tard. Mais elle semblait déjà bien remise, à en juger la vivacité avec laquelle elle était prête à se défendre. Rien d’étonnant si elle avait fait partie d’un contingent kelemat prêt à ouvrir un nouveau front.
Cela posait tout de même question. Pourquoi Tahiya avait-elle sauvé une fille de Keleom ?
Il relégua cette interrogation dans un coin de son esprit. La dragonne savait ce qu’elle faisait. Silqat comprendrait ses intentions en temps voulu.
Le prince donna un tour de clef dans la serrure. Il ne pouvait pas laisser la jeune femme circuler librement. Les soldats auraient vite fait d’avertir le roi. Silqat aurait beau lui expliquer que Tahiya elle-même avait ramené la naufragée sur la côte, le souverain rétorquerait que c’était encore l’un de ses délires fantaisistes. Le roi Hâji ne l’avait jamais cru quand il assurait que Tahiya s’adressait souvent à lui, alors qu’il ne portait pas la couronne.
Comment Silqat aurait-il pu le convaincre ? Son père était une personne pragmatique et intraitable quand il s’agissait de la protection de l’Archipel. On avait beau dire au prince d’en faire de même, il continuait de se fier à son intuition autant qu’aux faits.
Constatant que le soleil commençait à percer au-dessus des montagnes, Silqat hâta le pas vers le palais. S’il tardait trop, le personnel allait s’inquiéter. Il parcourut la longue plage de sable fin et regagna les faubourgs d’Hélior, la capitale. Il salua les badauds présents à la criée, traversa les places marchandes et emprunta les travées de marches qui menaient sur la place royale et son palais de pierres blanches.
Il avait espéré regagner le terrain d’entraînement discrètement, mais c’était sans compter sur la ponctualité d’Aman qui l’attendait déjà, assis sur les marches du palais.
— Tahiya va bien ? demanda l’Hemehien.
Le ton sec laissait entendre qu’il n’était pas dupe.
— Parfaitement bien…
Aman leva ses yeux noirs vers lui, attendant de toute évidence bien plus d’explications de sa part. Peut-être lui dirait-il. Après tout, Aman n’avait jamais trahi le moindre de ses secrets. Mais aucune de ses cachotteries d’enfant n’était à la mesure de ce qu’il dissimulait désormais – avec la bénédiction de Tahiya, certes.
Son ami se releva dans un soupir :
— Je propose : si tu gagnes la première passe d’armes, tu continues tes magouilles dans ton coin. Si tu perds, tu as intérêt à m’expliquer ce que tu tournes depuis hier. J’ai déjà dû improviser deux excuses quand le roi m’a demandé où tu étais encore passé.
— Merci, Aman.
— Tu ne devrais pas. Si je perds mon poste, je doute que ton prochain chaperon soit aussi conciliant que moi !
Silqat se contenta d’un hochement de tête, il savait qu’Aman avait raison. Les années passant, le roi Hâji devenait toujours plus suspicieux. Le prince voyait venir le jour où il serait tenu de rester dans ses appartements pour sa propre sécurité.
Pour le moment, cette sécurité se résumait à avoir pour ombre un soldat chargé de sa protection comme de son entraînement. Par miracle, ce rôle incombait à Aman. Une exception pour un réfugié venu du Continent dont se méfiait tant le roi Hâji.
Le prince et son garde traversèrent les couloirs de stuc blanc, incrusté de pierres, jusqu’à la cour d’entraînement du château. À peine arrivés, Aman lança son épée en bois à Silqat avant de récupérer la sienne. Le prince s’en saisit et se mit en garde. Il gagnait rarement contre l’Hemehien, mais il devait y parvenir ce jour-là s’il voulait conserver son secret. Nul doute qu’Aman allait attendre sa réponse.
Le premier coup fut vif et brutal, mais Silqat connaissait suffisamment les habitudes de son maître d’armes pour ne pas en être déstabilisé. Il contrôla la lame d’Aman, prêt à pointer sa propre épée sous son menton. Son adversaire se baissa prestement et visa ses jambes. Le prince para in extremis et se prépara à un fendant latéral. Aman roula sur son côté et réengagea l’assaut dans son dos. Silqat se retourna trop tard et, bien qu’il puisse parer le coup, son garde profita de ses mauvais appuis pour le faire chuter. Le prince eut tout juste le temps de lever son épée pour éviter la pointe sous sa gorge. Il savait déjà que cette posture ne lui offrait aucune échappatoire.
Trois lents applaudissements retentirent, le faisant sursauter. Aman s’inclina avant que Silqat ne porte son attention vers la coursive où son père et son parrain observaient la scène.
— Une chance qu’Aman ne soit pas à la solde du Continent. Dans le cas contraire, notre précieux héritier serait mort depuis longtemps, commenta ce dernier, amusé.
— Je n’ai pas envie de rire, Liam, grogna le roi Hâji.
Le prince se releva pour s’incliner devant le monarque, la main sur le cœur :
— Bonjour, père. Parrain.
Le souverain était un homme de haute stature, à la peau tannée par le soleil, à la barbe noire imposante et au regard impénétrable. La marque violette, qui symbolisait autant la souveraineté que le lien aux dragons, cernait ses yeux. On disait qu’à la mort du monarque, elle apparaissait spontanément sur le visage de l’héritier. Silqat espérait ne pas la voir sur ses propres traits avant plusieurs décennies. Il tenait bien trop à son père, aussi sévère soit-il.
Le père et le fils avaient beau partager ce même regard d’aigue-marine, les yeux du monarque étaient bien plus glaciaux. Par le passé, ils avaient été plus chaleureux et Silqat n’aurait su dire quand cela avait changé. À la mort de sa mère, peut-être ?
— Une fois de plus, tu étais introuvable ce matin, commenta sèchement le roi.
— Comme tous les matins, j’étais dans la crique pour saluer notre Mère.
— Eh bien j’ose croire que tu auras autant de ferveur à guider notre peuple qu’à barboter dans l’océan. J’entends que tu sois présent aux doléances de cet après-midi. Tu n’as plus l’âge de l’oisiveté !
— Tu exagères, Hâji, s’interposa Liam. Silqat est déjà un souverain attentif. Toi, tu écoutes depuis ton trône, lui, il se déplace et soigne tes sujets.
— Ce qui est tout à son honneur. Mais ce n’est pas ainsi qu’on gère un royaume.
— Voyons, Hâji… Tu ne vas pas disparaître de sitôt.
— Ce n’est pas ce que laissaient entendre tes propos de ce matin, rétorqua le monarque.
Le prince se figea :
— Que s’est-il passé ?
Était-ce encore la suspicion démesurée du roi qui parlait, ou y avait-il un fond de vérité ?
— Rien… J’ai juste rappelé à ton père qu’il laissait toujours la même requête de côté et que l’Impératrice Anja n’aimait pas qu’on la fasse attendre.
Attendre ? Il n’y avait plus de contact avec Keleom depuis dix-huit ans, pourquoi le roi aurait-il dû répondre à une quelconque requête ?
— J’ai déjà répondu à cette requête et ma décision demeurera inchangée, aujourd’hui comme demain. Il est hors de question de piller la sépulture de nos protecteurs.
Sur ses mots, le roi tourna les talons avec majesté.
Silqat soupira. Il doutait d’avoir un jour la prestance, aussi bien physique que morale, de son père. Il avait beau s’y préparer, il ne se sentait pas prêt à régner.
3. L'Archipel Protégé
Depuis le balcon des déclarations, j’observais les passants en contrebas.
Il n’y avait pas foule aujourd’hui. Rien d’étonnant, aucun discours n’avait été annoncé. Habituellement, Anja me faisait appeler en salle du trône, ou me demandait de la rejoindre dans l’un des nombreux bâtiments de recherche répartis dans la Capitale. Mais aujourd’hui, elle me convoquait sur le balcon. Ce lieu où elle m’avait révélé la prospérité de l’Empire Montant de Keleom, et évoqué la haine du Vieil Empire de Hol à notre encontre.
Une haine qui avait motivé la destruction de ma ville natale et la mort de mes parents.
Je me surpris à espérer une grande nouvelle. Peut-être l’Empereur Sorga était-il mort ? Lui, l’idolâtre responsable de tous ces massacres au nom de son dieu fantasque. Mais ç’aurait été trop beau. Les plus mauvais mouraient toujours les derniers.
Inutile de nourrir de faux espoirs. Je concentrai mon attention sur la grande place et les imposants immeubles qui l’entouraient. La première fois que je les avais vus, j’avais cru rêver. Hujum-Mudo, ma ville natale, était une cité frontalière importante, mais jamais nous n’avions construit de bâtiments dépassant les trois étages. À Kelem, tout était gigantesque, et plus confortable.
Ici, les citoyens pouvaient prétendre à un niveau de vie aussi élevé que celui des dirigeants. La seule différence entre Anja et ses compatriotes tenait à la taille de leurs habitations.
Mon regard s’arrêta sur les fontaines et leurs jets d’eau multicolores. La dernière innovation de nos chercheurs supposée égayer notre quotidien. Nous avions beau être à l’abri à Kelem, nous n’oubliions pas la guerre qui faisait rage à nos frontières. Chaque soir, nous observions une minute de silence pour nos frères et sœurs morts pour nous protéger de la tyrannie de Hol.
— C’est un plaisir de te voir ponctuelle, comme toujours, s’éleva la voix douce d’Anja.
Je me tournai vers notre Impératrice, inclinant la tête en guise de salutation.
— C’est mon devoir de l’être, Votre Grâce.
L’Impératrice m’offrit un sourire discret et s’appuya contre la rambarde.
Cinq années à ses côtés et mes yeux s’attardaient encore sur le moignon de son poignet droit. Anja avait perdu sa main lors d’une bataille, bien avant de devenir Impératrice, mais elle n’avait jamais caché sa mutilation. Elle m’avait souvent répété que c’était la marque des sacrifices qu’elle était prête à faire pour protéger son peuple.
Je tirais une certaine fierté à servir une femme de sa trempe. Alors que l’Empereur Sorga restait bien caché derrière les lignes arrière, notre Impératrice n’hésitait jamais à rejoindre nos hommes sur le front. J’avais souvent craint qu’elle n’en revienne pas. Keleom ne survivrait sans doute pas longtemps aux assauts de Hol si elle n’était plus là pour nous guider.
— J’ai une mission importante à te confier, Yul, annonça-t-elle d’un ton ferme et posé.
Je me redressai, assurant que je remplirais mon devoir. Si je pouvais ne serait-ce que retarder les plans de notre ennemi, je n’hésiterais pas une seconde.
— Te souviens-tu de Shama-Taya ?
Je fronçai les sourcils. Pourquoi me parlait-elle de l’Archipel ? Je n’y voyais pas de lien avec la guerre que nous menions.
— C’est un pays composé d’îles, au sud-est, et qui a fermé ses frontières au Continent il y a presque vingt ans. On raconte aussi qu’il est protégé par deux dragons, pour ma part, je pense qu’il ne s’agit que de croyance ou de folklore…
— Je voudrais que tu t’y rendes.
J’étais perplexe, mais rien ne m’autorisait à refuser.
— À quelle fin, Votre Grâce ? Diplomatique… ?
— Voilà longtemps que le roi Hâji ne fait plus preuve de diplomatie à notre égard. C’est une mission bien plus périlleuse que je te confie là, Yul. Il est nécessaire que le prince meure.
Je restai interdite face à elle. Pourquoi ? Pourquoi assassiner l’héritier d’un archipel perdu au milieu de l’océan ? Elle m’avait formé à ce genre de mission, depuis mon plus jeune âge. Mais je pensais qu’on m’aurait envoyé exécuter Sorga, le seul véritable responsable de ce désastre !
— Votre Grâce…
Anja me fit taire d’un simple signe de sa main.
— Je comprends ta déception, Yul, mais écoute-moi. Shama-Taya regorge de crystithes et tu sais à quel point nous en avons besoin pour repousser Hol et ses mages. Le roi Hâji a refusé toutes mes propositions de contrat. Ne me reste que la ruse ou la force… Mais je ne souhaite pas que le peuple de Shama-Taya paie pour le refus de son souverain. Le roi mourra bientôt et nous devons nous assurer qu’il n’y aura pas d’héritier pour lui succéder. Ainsi, nous pourrons nous immiscer dans les affaires de l’Archipel et les amener à accepter l’exploitation de leurs crystithes.
Je serrai les poings. Je savais bien que sans crystithe, Keleom n’était rien. C’était la matière première à l’origine de toute notre technologie. Le peuple perdrait sa prospérité si nous ne pouvions plus exploiter cette étrange pierre, et notre armée n’aurait plus aucune chance de gagner la guerre.
Mon éthique se révélait peu encline à tuer un innocent, mais si c’était là le seul chemin vers la mort de Sorga, il me faudrait l’emprunter.
— Je ne vous décevrai pas, Votre Grâce.
Aujourd’hui, debout à la fenêtre, le paysage qui s’offrait sous mes yeux était bien différent. C’était une longue plage de sable, bordée de roches rouges. Au loin, je pouvais voir une cité blanc et bleu, juchée au sommet de la falaise. La capitale Hélior, certainement.
Ici, il n’y avait que le roulis de la mer. Avant que je ne quitte la capitale impériale pour cette mission, je n’avais encore jamais vu la grande étendue d’eau. L’imaginer m’avait fascinée, mais désormais, elle ne m’inspirait qu’un sentiment de terreur, elle qui avait failli m’engloutir.
Je pris conscience de mes mains serrées sur le rebord de la fenêtre. Malgré la tempête qui aurait dû me tuer, j’étais arrivée à Shama-Taya. J’allais poursuivre ma mission. Ma cible m’attendait, quelque part dans ce château que je voyais au sommet de la cité.
Comment allais-je m’y prendre ? J’avais retourné toute cette pièce dans l’espoir futile de retrouver ma dague, mais, sans surprise, elle n’était nulle part.
Par chance, j’avais appris à improviser. N’importe quoi pouvait devenir une arme, pour peu qu’on sache s’en servir.
Il fallait d’abord que je m’informe des habitudes du prince. Avec un peu de chance, ce médecin pourrait m’apprendre bien des choses sur la capitale et ses habitants. Je devais envelopper mes questions de curiosité naturelle, et ne jamais mentionner la famille royale directement. J’ignorais qui il était exactement ; il ne fallait pas que j’attise sa méfiance…
Un tremblement me parcourut. Je pris soudain conscience que j’étais seule. Si j’étais l’unique personne reconduite sur la côte, alors cela signifiait que tous mes compagnons étaient morts en mer.
L’avenir de Keleom tenait à ma seule réussite. Nous avions besoin de ces crystithes.
Je sursautai au bruit de la clef dans la serrure et fis volte-face, prête à me battre. Je me détendis en voyant le jeune homme et son sourire tranquille.
— Tu as faim ? demanda-t-il en fermant la porte.
Mon ventre gronda pour moi. Le médecin ne releva pas ce son disgracieux et me tendit une étrange galette roulée, garnie de volaille, de tomates, d’oignons et de fromage blanc. Je n’avais rien goûté de tel à Keleom et l’alliance des goûts me parut incongrue, mais mon estomac ne fit pas le difficile.
Je chuchotai un remerciement dans sa langue. Avant mon départ, j’avais été tenue d’apprendre les rudiments de la langue shamayake, mais je savais ma diction encore maladroite.
— Comment tu te sens ? s’enquit-il alors que je mordais à nouveau dans l’étrange repas. Tu n’as pas eu de vertige, de nausée, ou autre symptôme ?
Je fis signe que non, bataillant avec une rondelle de tomate.
— La prochaine fois, je penserai à t’apporter des couverts et une assiette, plaisanta-t-il.
Ma fierté le foudroya du regard, ce qui eut pour effet d’accroître son sourire.
— Au fait, j’ai manqué à tous mes devoirs tout à l’heure. Je m’appelle Silqat.
— Silqat ? tiquai-je. Comme le prince de Shama-Taya ?
Il haussa les épaules.
— C’est un nom assez commun ici.
Ma faim avait disparu.
Quelle chance y avait-il que le prince lui-même se trouve face à moi ? Ç’aurait été une telle aubaine ! Il m’aurait suffi de trouver l’arme adéquate – le fameux couvert qu’il apporterait la prochaine fois – et ma mission aurait été accomplie !
Non. Il n’y avait aucune chance qu’un prince se balade ainsi sans garde du corps. Et puis, il s’était présenté comme un apprenti médecin. Une personne de haute lignée n’aurait pas fait passer son métier avant son titre.
Pourtant, ses vêtements étaient bien ceux d’un prince. Sa chemise et son pantalon en soie, sa veste de velours pourpre, ainsi que ses nombreuses boucles et bagues d’oreille… Mais les médecins jouissaient sans doute d’un haut statut. Après tout, ils soignaient tout le monde, il n’y aurait rien eu d’étonnant à ce que la cour rémunère généreusement leurs services. En tout cas, à Keleom, Anja avait toujours mis un point d’honneur à bien les traiter.
— Tu m’as dit ce matin être née à Hujum-Mudo, reprit-il prudemment. Je crois savoir qu’il ne reste plus que des ruines de cette cité. Est-ce que… tu as fui avec tes parents ?
— Non. Mes parents sont morts sous les bombes. Je dois ma survie à leur sacrifice…
Tout ça pour un dieu qui n’existe pas !
Voilà cinq ans qu’Anja m’avait trouvée errante dans les ruines. Sans elle, j’aurais perdu la vie, terrassée par le froid ou la faim depuis longtemps.
— Je suis désolé, Yul…
Il semblait triste pour moi, mais comment aurait-il pu l’être vraiment ? L’Archipel ne savait rien des horreurs perpétrées chaque jour à la frontière kelemate. Son roi lui-même avait refusé de nous aider !
Je lui rendis la galette garnie. Penser à tout cela venait de me couper l’appétit.
— Garde-le. Tu pourras le finir plus tard.
Je jetai un œil au mobilier de la pièce et décidai de le poser sur la table, en faisant attention à ce que le fromage blanc ne tache pas l’acajou.
— Tu veux sortir un peu ? me proposa-t-il ensuite.
— Sortir ? Mais où ?
— Sur la plage. L’air te fera du bien : tu es toute pâle.
À travers la fenêtre, je jetai un coup d’œil à la grande étendue d’eau. Je n’étais pas pressée de la retrouver, mais il avait tout de même raison : l’air frais me manquait.
J’acceptai donc et il m’invita à le suivre.
En franchissant le seuil de la porte, je mis les pieds sur une petite plateforme et découvris l’horizon et ses eaux calmes. J’entrepris de suivre Silqat qui descendait un long escalier en colimaçon serpentant autour de la haute structure circulaire. Je ne remarquai aucune autre porte que celle par laquelle nous étions sortis.
Tout cela paraissait bien étrange. C’était un drôle de lieu pour exercer la médecine. Comme s’il avait lu en moi, il prit la parole :
— On l’appelle la tour Taya. Autrefois, il s’agissait d’un phare, mais les étages inférieurs ont été murés il y a longtemps. Il ne reste plus d’accessible que cette pièce tout en haut. Tu y seras tranquille.
Arrivée au pied de l’édifice, je cherchai du regard la fenêtre de ma cellule. Juste au-dessus d’elle, je découvris une large structure de verre. L’endroit où le feu brûlait autrefois pour guider les bateaux.
— J’y suis surtout bien enfermée…
— Je n’ai pas l’intention de t’enfermer, Yul. Malheureusement, aucun Kelemat n’est le bienvenu sur l’île. Le roi Hâji est très bon avec son peuple, mais il se méfie de tous ceux qui viennent du Continent. Même des réfugiés. Pour le moment, il vaut mieux que personne ne sache que tu es ici.
— L’attitude de votre roi me semble bien plus sage que la vôtre. Votre altruisme est inconsidéré…
Silqat émit un rire un peu triste :
— Chacun a sa vision de la sagesse. Pour ma part, je considère la méfiance comme le meilleur moyen d’attiser les conflits. Shama-Taya vit en paix depuis cinq siècles grâce à nos Protecteurs. Si l’un d’eux t’a laissé nous approcher, c’est qu’il a de bonnes raisons.
Je demeurai interdite. Ces protecteurs existaient-ils réellement ? Ou était-ce une métaphore ? Les dragons qui protégeaient l’Archipel n’étaient qu’une légende !
— Bien sûr, rien ne t’oblige à rester. Je peux t’aider à regagner ta patrie. Nous avons encore quelques relations avec la partie sud du Continent, Hemehiya notamment.
Je serrai les poings. Je ne pouvais pas regagner Keleom. Pas sans avoir garanti l’accès aux crystithes.
— Je… crois que je vais rester un peu si vous le permettez. Je… ne suis pas pressée de reprendre la mer.
— Je te l’ai dit, Yul. Tu seras tranquille dans la tour Taya.
Je hochai la tête et le médecin m’invita à poursuivre la promenade.
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