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Là où vit le soleil [Chapitre 2]
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Là où vit le soleil [Chapitre 2]
Slip inside the eye of your mind
Don't you know you might find
A better place to play
You said that you'd never been
But all the things that you've seen
Slowly fade away
Oasis, Don’t Look Back In Anger
Quelques jours plus tard, ils s’étaient donnés rendez-vous dans un café tôt dans la matinée, afin de discuter plus précisément de la mission et des termes du contrat. Margot, rendue nerveuse par le manque de sommeil, était arrivée en avance et en était à son troisième expresso. L’excès de caféine n’aidait en rien à calmer son rythme cardiaque, et à son agitation s’ajoutait maintenant une envie tenace d’aller aux toilettes.
Heureusement, Neil Hamilton arriva pile à l’heure. Dès qu’il la repéra, assise sur une table à l’écart au fond de la salle, il lui adressa un large sourire aux dents blanches impeccables et s’approcha en quelques enjambées.
— Bonjour Miss Gilliatt. Je suis absolument ravi que vous ayez décidé de me rappeler. Comment allez-vous ? commença-t-il en tendant la main.
L’avocat prit place juste en face d’elle en prenant soin d’ouvrir le bouton de sa veste, et aussitôt un serveur neurasthénique se présenta à leur table pour prendre sa commande.
— Je prendrai un Earl Grey, ou un Ceylan si vous avez. Avec un nuage de lait please.
Son look de dandy, son accent, le flegme qui se dégageait de chacune de ses attitudes… Cet homme réunissait tous les clichés possibles et imaginables sur les Britanniques.
— Je vais bien, je vous remercie. Même si j’ai été un peu… surprise par notre rencontre.
Il ricana en attrapant dans son attaché-case un épais dossier jaune citron, qu’il posa sur la table.
— Au téléphone vous m’avez dit que vous souhaitiez en savoir plus avant de vous engager.
Elle acquiesça en silence et l’avocat s’interrompit quelques secondes lorsque le serveur revint avec son thé. Lorsqu’il reprit, sa voix avait baissé d’un ton, obligeant Margot à s’avancer sur le rebord de sa chaise.
— Je vais être bref, tous les détails sont dans ce dossier, annonça-t-il en tapotant la pile de documents. Il y a quelques semaines, une roche, ou du moins quelque chose qui y ressemble, a été mise au jour sur un terrain militaire à Durness, une petite ville des Highlands. Jusqu’ici, les scientifiques de l’armée s’y sont cassé les dents et la Couronne ne souhaite pas débloquer un budget suffisant pour lancer des recherches sérieuses. Le relais a été confié à la fondation Harbard, et nous sommes à la recherche d’experts pour déterminer la nature exacte de cet objet. Il pourrait s’agir d’une découverte d’une ampleur exceptionnelle.
Il fit une pause, et bu une gorgée de thé en étudiant la réaction de Margot par-dessus sa tasse.
— Nous prévoyons un financement plutôt généreux pour notre équipe de recherche, reprit-il. En contrepartie, nous souhaitons obtenir un accord de confidentialité jusqu’à une éventuelle publication qui rendrait publique cette découverte.
À ce stade de la conversation, Margot brûlait de curiosité et ne pouvait détacher son regard de l’épaisse chemise jaune qui trônait sur un coin de la table.
— Pourrais-je avoir accès aux détails techniques ? demanda-t-elle.
— Tout est là, à votre disposition, indiqua-t-il en appuyant son index sur l’épais tas de feuille.
Réprimant son envie d’attraper le document pour s’enfuir le lire au calme, elle se tortilla sur sa chaise et tenta de retrouver le fil de ses pensées.
— Concrètement, quelles seraient les conditions matérielles d’une telle mission ? insista-t-elle.
— De ce côté-là, nous avons pensé à tout pour que vous soyez installée dans les meilleures conditions. Un laboratoire flambant neuf a été installé sur le terrain. Libre à vous de nous commander les équipements qui s’avéreraient nécessaires. Notre but est de vous donner les conditions pour réussir, le budget n’est pas un problème.
— Oh je vois… Et qui seront les autres chercheurs ?
— Vous êtes la première que nous contactons. Nous avons besoin d’une personne ayant les épaules pour diriger ces recherches. Vous aurez donc la liberté de composer une équipe vous-même.
Il fixa son regard sur elle et attendit quelques secondes avant d’ajouter :
— C’est une occasion en or de quitter les couloirs de l’université et d’oublier les copies à corriger. Une opportunité unique de vous faire enfin un nom.
L’avocat semblait avoir préparé ses arguments, et à court de questions, elle laissa le silence retomber entre eux.
— Miss, je comprends bien qu’il est difficile pour vous de tout laisser tomber pour venir vous isoler dans l’un des coins les plus reculés d’Écosse, avec pour seule garantie une carte de visite et quelques données hasardeuses. Venez donc voir par vous-même ! Donnez-nous une semaine sur place pour vous convaincre et vous familiariser avec l’accent écossais.
L’avocat attrapa quelques pages dans le dossier et les glissa vers Margot.
— Voici le contrat, je l’ai fait traduire pour vous. Prenez le temps de le lire, tout y est écrit dans les moindres détails. N’hésitez pas à me téléphoner si vous avez des questions.
Il fit une pause pour lisser une mèche imaginaire, puis se pencha légèrement au-dessus de la table avant d’ajouter sur le ton de la confidence :
— J’ai préféré prendre de l’avance en vous réservant une place sur le prochain vol pour Inverness, le départ est dans une semaine. Si vous n’avez pas de passeport, dites-le moi et je m’occuperais de vous en obtenir un à temps.
Le café se mit à tourbillonner autour de Margot, et elle dut se rattraper à la table pour faire passer le vertige. Trop de café, pas assez de sommeil… elle sentait qu’elle perdait le contrôle de la situation.
— Vous semblez certain que je vais accepter… lâcha-t-elle, un air de défi dans le regard.
En face d’elle, l’avocat ne sembla pas troublé. Un sourire en coin sur le visage, il se leva, reboutonna sa veste. Enfin, il planta son regard droit dans celui de Margot.
— Bonne journée Miss Gilliatt. J’attendrais de vos nouvelles rapidement, je suis sûr que vous vous plairez à Durness.
Il s’éloigna d’un pas tranquille, laissant Margot sans voix sur sa chaise avec entre les mains le fameux contrat qui lui brûlait les doigts.
À peine une légère secousse, puis des applaudissements vifs retentirent dans l’avion. Les cliquetis des ceintures de sécurité commencèrent aussitôt à tinter dans l’habitacle. Les trois cents passagers bondirent sur leurs pieds alors que l’avion ralentissait sur le tarmac humide de l’aéroport d’Inverness.
9h51. Sous un ciel gris sans fin et avec un bourdonnement lancinant dans les oreilles, Margot posa le pied sur la terre ferme des Highlands.
Après avoir passé les contrôles aux frontières et récupéré sa valise sur le tapis roulant, elle s’engagea entre les portes automatiques derrières lesquelles une foule de gens attendait patiemment de retrouver leurs proches. Derrière les portes vitrées, Margot repéra rapidement l’avocat à l’allure de Golden-Boy et lui adressa un petit geste discret. Ils sortirent de l’aéroport sous les flocons de neige fondue qui avaient commencé à s’abattre sur la ville, et rejoignirent d’un pas pressé la berline aux vitres teintées qui les attendait sur le parking.
Très vite les paysages industriels de la banlieue d’Inverness laissèrent la place aux étendues sauvages des Highlands. La lande désolée, ponctuée de ruisseaux tortueux et de forêts sombres, rythma les trois heures de routes qui séparaient Margot de sa destination. Pour son plus grand bonheur, l’avocat n’était pas très bavard. Il semblait absorbé par les programmes de la BBC diffusés à la radio, et ne lui adressait la parole que pour lui demander si la température de l’habitacle lui convenait ou si elle souhaitait faire une pause. À mi-chemin près du Loch Shin, les paysages devinrent spectaculaires. Les montagnes s’élevaient peu à peu autour d’eux, les surplombant de leurs sommets enneigés, et quelques rares cottages exhalaient une frêle fumée blanche, unique preuve de vie humaine à des kilomètres à la ronde.
Malgré le stress du voyage et la fatigue accumulée, Margot ne trouvait pas le sommeil, ses pensées restaient tournées vers le dossier jaune qu’elle avait lu et relu jusqu’à la nausée. Par la fenêtre, elle gardait les yeux rivés sur la nature brute autour d’elle. Chaque pont de pierre, chaque bergerie en ruine semblait tout droit sorti d’un guide touristique, ou plus justement d’un livre d’histoire. La région vivait dans un espace-temps suspendu où la vie s’écoulait paisiblement, loin des tracas et des injustices du monde qu’elle connaissait. Elle brûlait d’impatience. D’ici quelques heures, elle pourrait respirer à plein poumon l’air pur de l’océan. Elle avait hâte de découvrir enfin le petit village de Durness qu’elle ne connaissait qu’au travers des photographies touristiques qu’elle avait passées des heures à étudier. L’endroit semblait à la fois désolé et paisible avec ses quelques maisons lovées sur les falaises et ses plages de sable blanc désertes, battues par les vents.
— Une chambre a déjà été réservée pour vous au Bed and Breakfast Mackay, le plus confortable de la ville, commença l’avocat en interrompant le fil de ses rêveries. J’y ai également une chambre pour ce soir. Demain matin, je vous emmènerai sur le site des recherches afin de vous donner les clés du laboratoire, puis je rentrerai à Edimbourg. Prenez la semaine pour vous faire une idée, suggéra-t-il. Si vous décidez de rester, sachez que votre loyer sera réglé chaque mois directement par la fondation. C’est un aspect que vous n’aurez pas à gérer.
Elle lui répondit par un simple hochement de tête et se pencha en avant pour sortir de son sac à dos le précieux dossier. Cette dernière relecture la rassurait, comme une ultime révision avant de se confronter à la réalité du terrain. Les feuillets avaient été réorganisés, cornés et annotés, rendant le tout presque illisible pour un lecteur néophyte.
Margot s’y plongea pendant plusieurs dizaines de minutes sous le regard satisfait de l’avocat. Assoupie lors des derniers kilomètres d’une route étroite serpentant entre les ruisseaux, elle fut réveillée lorsque le doux ronronnement du moteur se tut. Lorsqu’elle émergea tout à fait, l’avocat s’affairait déjà à sortir les bagages du coffre pour les déposer sous le porche d’une impressionnante bâtisse en pierre dont la véranda s’avançait sur une pelouse parfaitement entretenue. La porte d’entrée bleu ardoise était surmontée d’une élégante inscription « Mackays’ rooms ».
Saisie par le vent glacé dès sa descente de voiture, Margot tomba nez à nez avec une dame âgée qui s’avançait vers elle les bras ouverts et un immense sourire sur le visage. Avec son superbe chignon qui la couronnait d’argent et son style impeccable, elle ressemblait à une véritable châtelaine. Son tout petit gabarit lui donnait une allure frêle, en apparence trop fragile pour résister aux rafales qui balayaient la rue, mais sa poignée de main ferme et ses gestes dynamiques indiquaient le contraire. Ses yeux gris perçants, son châle à carreaux et son accent caractéristique finirent de convaincre Margot : elle était bel et bien arrivée au cœur des Highlands.
— Miss Gilliatt, Neil, soyez les bienvenus au B&B Mackay !
À son tour, l’avocat lui saisit la main et mima un baisemain un brin ringard, qui fit rosir de plaisir les joues de l’hôtelière.
— Ma chère Moira, merci de nous accueillir. Tu es radieuse, comme toujours !
— Voyons, voyons, tu es un flatteur, répondit-elle les yeux brillants de malice. Miss Gilliatt, j’insiste pour que vous m’appeliez simplement Moira. Maintenant, suivez-moi, vous devez être affamés.
Ils déposèrent leurs valises dans leurs chambres respectives avant de suivre la maîtresse des lieux pour une visite guidée de l’hôtel. La vénérable bâtisse centenaire avait été rénovée avec goût quelques années plus tôt. Son charme traditionnel écossais avait été enrichi de tout le confort moderne dans l’espoir de faire de l’établissement l’un des plus luxueux de la région. Après avoir arpenté les couloirs, Margot, l’avocat et l’aimable Madame Mackay se retrouvèrent attablés dans la dining room du rez-de-chaussée entièrement vide en cette fin d’hiver. Dès son entrée, le regard de Margot fut attiré sur la seconde moitié de la pièce où deux immenses canapés et des fauteuils clubs imposants permettaient aux pensionnaires de profiter de la verrière et de sa vertigineuse vue sur l’océan en contrebas, le tout organisé autour d’une cheminée en pierre dans laquelle un feu crépitait doucement. L’ambiance chaleureuse et rassurante était un appel à la détente, un cocon pensé pour permettre aux habitants d’oublier le vent, la pluie et leurs tracas. Même l’air de jazz diffusé en sourdine depuis la platine vinyle qui trônait sur le buffet, contribuait à apaiser les âmes les plus angoissées.
Après les avoir généreusement nourris et abreuvé Margot d’informations touristiques sur la région, Moira était maintenant affairée à servir le thé en chantonnant. L’avocat, qui avait abandonné sa tenue formelle pour un simple polo à manches longues et un jean, finissait sa bière brune avec nonchalance, adossé au fond de son siège.
— Comment vont les affaires Moira ? Toujours pas prête à vendre ? demanda-t-il sur un air de connivence.
— Tout va très bien Neil, je te remercie. Il me reste encore quelques années avant de songer à céder le B&B, et comme tu le sais, tu n’es pas en haut de ma liste ! taquina-t-elle avant de se tourner vers Margot dont elle avait remarqué l’expression de surprise. Cet ambitieux Neil Hamilton est un enfant du pays voyez-vous Miss Gilliatt. Après s’être exilé pour réussir, il ne rêve plus que d’une chose : revenir sur ses terres natales et s’offrir le fleuron du tourisme de Durness pour nous époustoufler avec sa fortune.
Les deux compères rirent de bon cœur et échangèrent quelques souvenirs communs pendant que Margot sirotait son thé infusé à la perfection, les yeux dans le vague en écoutant d’une oreille leur joyeuse conversation.
L’estomac plein, enveloppée dans la douce senteur du feu de cheminée, Margot s’autorisa un soupir d’aise qui n’échappa pas à son hôte.
— Je suis heureuse d’avoir un peu de compagnie, déclara la logeuse en lui tapotant affectueusement le genou. Le B&B est trop souvent vide à cette saison.
— Et il ne tient qu’à toi Moira de donner envie à Miss Gilliatt de prolonger son séjour, plaisanta Neil Hamilton.
— Mon cher Neil, l’hospitalité des Highlanders n’est plus à démontrer, tu le sais bien. Et puis qui aurait envie de vivre ailleurs alors que la nature nous bénit chaque jour de ses beautés, ajouta-t-elle en pointant la baie vitrée.
Dehors de lourds nuages noirs s’étaient accumulés au-dessus de l’océan couleur de plomb, et un vent violent annonciateur de tempête couchait la végétation avec force. Margot chercha des traces d’ironie sur le visage de l’hôtelière, mais ne trouva dans son regard clair qu’apaisement et plénitude.
— Bien dit ! admit l’avocat en faisant mine de trinquer. Reprenez des forces ce soir Miss, car demain aux aurores, je vous emmène découvrir le lieu qui changera votre vie.

