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L'envol

L'envol

Publicado el 20, ago, 2025 Actualizado 20, ago, 2025 Science fiction
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L'envol

« Vous avez un système nerveux très facile à lire, monsieur Marsh. »

Comme il ne savait pas comment réagir à ce qui ressemblait à un compliment, Jude le remercia, ce qui fit sourire le médecin.

« Il n'y aura pas besoin d'un second examen. Nous avons cartographié sans peine ce dont nous avons besoin. Vous avez dû recevoir la notification, pour le rendez-vous.

— Oui, je l'ai accepté tout de suite.

— Et vous avez bien fait. Le planning est très chargé. Donc, la semaine prochaine, nous allons procéder à l'implantation d'un module K-nect. Vous en avez entendu parler ? »

Évidemment, il en avait entendu parler. K-nect était le produit principal de Vertex-Intuitive, la première société à avoir supplanté les GAFAM en bourse. Jude travaillait pour le fonds d'investissement qui avait présidé à la fusion de Vertex Pharmaceuticals et Intuitive Surgical, plus de dix ans auparavant, après que la première société eut absorbé Neuralink.

« C'est un implant qui permet de se connecter sans écran.

— Une interface neuronale directe, dans notre jargon. Le modèle auquel votre société vous donne droit va vous permettre de faire bien plus que ça. Vous pourrez vous connecter à votre domotique, votre véhicule, votre cloud, passer des appels, envoyer des messages, accéder à votre position en temps réel, connaître votre état de santé, le tout sans autre support que l'implant lui-même. »

Jude resta quelques instants sans rien dire. Il n'avait pas vraiment envisagé toutes ces fonctionnalités, et la communication sur le K-nect n'était pas aussi détaillée. Pour tout dire, elle était plutôt confidentielle. On pouvait voir la marque dans quelques spots publicitaires comparables à ceux des anciens géants de la tech, dans lesquels on voyait plus le logo que le produit lui-même, ou que ce qu'il pouvait faire.

« Nous passons par les voies naturelles, le nez ou la gorge, vous n'aurez pas de cicatrice. L'intervention dure environ trente minutes. Elle est faite sous anesthésie locale. Est-ce que vous avez des questions ?

Jude secoua la tête.

— Dans ce cas, à la semaine prochaine. »


« Nous allons activer votre implant. Vous allez voir des formes géométriques superposées à votre vision normale. C'est un peu perturbant au début, alors je vous conseille de fermer les yeux. Vous êtes prêt ? »

Jude acquiesça et ferma les yeux. D'abord, il ne se passa rien. Il était sur le point de le dire au médecin quand un carré blanc évidé apparut au centre de son champ de vision. C'était tellement inhabituel que Jude en resta bouche bée. Le carré fut bientôt remplacé par un triangle, puis un cercle. Une seule forme s'affichait à chaque fois, à la place de la précédente, sans transition. Le médecin lui indiqua qu'il pouvait rouvrir les yeux.

« Je viens d'éteindre votre implant. C'est vous qui allez le rallumer, en fermant les yeux à nouveau, et en visualisant ce symbole. »

Un autre symbole, un cercle interrompu par un trait vertical à son sommet, apparut sur le mur, derrière le médecin.

Jude s'exécuta. Les trois formes géométriques s'affichèrent à nouveau, et il ouvrit les yeux.

« Pour l'instant vous ne voyez rien de plus, car l'affichage est désactivé. Vous pourrez modifier ça par la suite. Pour activer l'affichage, visualisez un rectangle large. Décrivez-moi ce que vous voyez. »

Jude se concentra sur la forme et vit la date et l'heure apparaître en bas à droite de son champ de vision. Il l'indiqua au médecin.

Il y eut encore quelques tests. À chaque fois, le médecin fixait le vide quand Jude effectuait les différents exercices ; il finit par comprendre qu'il suivait ses résultats avec son propre implant.

Quand la batterie de tests préliminaires se termina, au bout d'une heure environ, Jude fut orienté dans une autre salle d'attente, dans laquelle un jeune homme vint le chercher.

Le réglage de son implant se poursuivit jusque vers la fin de l'après-midi. Jude put enfin rentrer chez lui.


Sur les conseils du jeune homme, il avait éteint son implant dans le métro. Il observait les gens autour de lui et remarqua pour la première fois ce que les différents comportements signifiaient vraiment : ceux qui étaient penchés sur l'écran de leur téléphone, comme fascinés par des reliques du temps jadis, et ceux qui fixaient le vide, le regard loin derrière l'horizon invisible, absorbé par une réalité subjective qu'ils étaient les seuls à voir.

La scène lui sembla à la fois étrange et familière et le décor particulièrement laid.

Les murs étaient couverts de publicités toutes plus criardes les unes que les autres, à tel point qu'à certains endroits elles avaient été recouvertes de peinture blanche, probablement par un collectif anticapitaliste. C'était un travail de sape sans fin car ils étaient régulièrement nettoyés. Certains sièges avaient été éventrés, leur rembourrage purement et simplement retiré. Ils étaient remplacés au fur et à mesure par des modèles recouverts d'une sorte de mousse de polymère ultra résistante que les délinquants n'avaient pas encore réussi à entamer.

L'ensemble ne valait pas qu'on s'y attarde.

Il comprit qu'il pouvait changer tout ça. Qu'il pouvait changer ce décor pour lui, et pour tous ceux qu'il inviterait dans son monde.


Il était à peine arrivé dans son conapt quand il afficha la domotique. Les options de sécurité apparurent sur le mur du salon, la centrale reconnut l'implant, reçut le token de connexion sécurisé et ce fut tout. Il s'amusa quelques instants avec, puis sélectionna le dernier message reçu, qui lança un tutoriel interactif concernant divers apprentissages pour la maîtrise avancée de son implant. Il le suivit jusque tard dans la nuit, acquitta plusieurs fois un message d'information concernant les effets secondaires de l'utilisation prolongée et le droit à la déconnexion et, épuisé, finit par éteindre le K-nect.

Il eut du mal à dormir cette nuit-là. Il alluma et éteignit l'implant plusieurs fois. Quand il s'endormit enfin, il rêva que son appartement était complètement dévasté. Le mobilier était en morceaux et le sol recouvert d'une couche de cendres de plusieurs centimètres. La baie vitrée ainsi qu'une partie du mur avaient disparues, comme aspirées vers l'extérieur, laissant son salon ouvert aux quatre vents, à la merci des éléments. Il essaya plusieurs fois d'appeler à l'aide, mais il avait perdu l'usage de la parole, alors il tenta d'envoyer un message avec le K-nect ; évidemment, ce dernier ne répondait pas. Il avança au ralenti vers le gouffre plongé dans l'obscurité, et se réveilla en sursaut au moment où il s'approchait du bord, tremblant et en sueur. Il se leva, prit une douche avant de se rendre compte qu'on était encore en pleine nuit et que son cauchemar n'avait duré que quelques minutes. Il prit un livre en papier au hasard, dans sa bibliothèque, le genre d'ouvrage de luxe, broché et numéroté, un de ceux qu'il s'était offert à chacune de ses promotions, mais qu'il n'avait jamais lu. La couverture était vierge de toute illustration. Le titre, La route, était inscrit en relief, en lettres argentés sur le tiers supérieur, au-dessus du nom de l'auteur, à consonances écossaises. Il l'ouvrit et commença à lire. Le style était particulier : de nombreuses phrases courtes, comme tronquées, laissaient parfois la place à des phrases plus longues. L'ensemble donnait une impression décousue, qui traduisait la confusion dans laquelle le personnage principal se trouvait : il se réveillait après un rêve insensé, comme le sont tous les rêves ; à l'exception que son rêve reflétait une part importante de cette réalité fictive inventée par l'auteur.

Il ne savait pas vraiment à quoi il s'attendait, sans doute un genre de carnet de voyage à travers le continent. Il ne mit pas longtemps à comprendre la situation imaginée par l'écrivain : une catastrophe globale avait eu lieu, anéantissant la civilisation ; un père et son fils essayaient de survivre tant bien que mal.

Le souvenir de son rêve lui revint brutalement. Tout en lisant, il se demanda distraitement quelle était la probabilité pour qu'il pioche ce livre en particulier. L'histoire était intrigante et immédiatement teintée de la tristesse d'une perte irrémédiable. Il tournait les pages les unes après les autres, se disant que ce n'était probablement pas un bon choix comme livre de chevet ; cependant la fatigue le rattrapa et il retourna se coucher.

Il eut une pensée avant de sombrer dans le sommeil, comme un rappel in extremis, mais cela ne suffit pas à le tenir éveillé. Dans son rêve, il avait tenté d'activer son implant, alors qu'il ne l'utilisait que depuis le jour même : son subconscient l'avait déjà intégré.


Il se leva tard ce jour-là. Il avait quelques jours de congés imposés par son employeur pour lui laisser le temps d'apprendre à utiliser le K-nect. Jude n'avait pas compris pourquoi les candidats avaient droit à cette faveur jusqu'à ce qu'il l'expérimente. L'apprentissage avancé demandait une énergie mentale qu'il n'avait pas mis en œuvre depuis ses études d'ingénieur. Apprendre et appliquer était deux choses différentes, mais la maîtrise de l'implant faisait appel à la visualisation abstraite et à une forme de concentration qu'il ne pratiquait plus, si il l'avait jamais pratiqué. La personne qui l'avait accompagnée à la clinique lui avait expliqué que les trois premiers jours étaient les plus fatigants, mais grâce à la plasticité du cerveau, on notait une nette amélioration à l'issue de ce délai.

Jude se limita à quelques exercices et se prépara pour son déjeuner avec Katia, dans un Art's Steakhouse du troisième niveau. Il prit son temps et fit le parcours à pied, empruntant les rampes et les patios à son rythme. Les holos publicitaires étaient moins nombreux en plein jour, mais il y avait toujours ceux vantant la dernière production qui mettait en scène Shadaa Wazem, la star transmédia. Le programme était disponible sur tous les supports traditionnels, mais aussi sur tous les implants ! à en croire l'inscription en lettres translucides de vingt mètres de haut qui planaient au-dessus du Mercury Hotel. Shadaa Wazem s'était fait connaître en étant la première artiste à accepter de donner la réplique à une IA générative, quelques années auparavant. Ce coup de pub l'avait propulsé sur le devant de la scène et mis au ban des institutions traditionnelles du divertissement de masse.

Mais les producteurs et certains studios ne s'y étaient pas trompés. Cette nouvelle façon de fabriquer du contenu s'était révélée être une véritable poule aux œufs d'or.

La carrière de Wazem n'avait pas décollé : elle avait été directement mise sur orbite.

Il s'arrêta quelques instants à un des nombreux belvédères pour observer le puits principal, tout en nuances de gris et de vapeurs incolores. Il appela l'appli Landscape sur son implant et en quelques instants le vide se remplit d'une explosion de verdure, concentration d'essences dont il ignorait le nom, surmontée d'une chute d'eau virtuelle dont l'impossible point d'origine se serait trouvé des centaines de mètres plus haut.

Il utilisa le guidage de l'implant pour se promener en ville, suivant les recommandations et les circuits des endroits remarquables. Il se retrouva assez rapidement à proximité de magasins de décoration qui vendaient des articles compatible K-nect, c'est-à-dire semi-virtuels : vases, vivariums, cadres photo, et même des fausses fenêtres pour pièce borgne, sur laquelle on pouvait projeter le décor qu'on souhaitait. Ces fenêtres s'ouvraient réellement et l'utilisateur pouvait alors profiter de l'ambiance sonore du décor choisi. Jude en essaya plusieurs, souriant à chaque fois du résultat.

Il entra dans le restaurant, un peu en avance, et s'installa à sa table habituelle. Il aimait bien ces établissements qui avaient su s'adapter à la fin de la filière bovine en proposant des produits artificiels plus vrais que nature. Il se força à ne pas utiliser son implant, tout en songeant qu'il pourrait, s'il le souhaitait, changer le décor en une hacienda mexicaine du début du siècle dernier, ou en un restaurant texan qui donnait sur Dealey Plaza, à Dallas, un vendredi de novembre.

Au lieu de ça, il resta dans cette réalité-là, faite de frisettes en similibois, de faux carrelage en plastique, de murs couverts d'objets plus kitchs les uns que les autres, le tout totalement assumé ; une forme d'authentique décor falsifié. Il trouvait l'endroit finalement très ordinaire, malgré la décoration surchargée et l'ambiance sonore qui hésitait entre de la musique tex-mex et espagnole.

« Cette place est libre ? » Sa voix le tira de ses pensées et le fit sourire immédiatement.

— Oui, je n'attends personne.

— Vraiment ? fit-elle, s'asseyant devant lui. Un beau gosse comme vous ? »

Jude pouffa, et hocha la tête en souriant. Il se demandait jusqu'où irait le jeu.

Elle avait attaché ses cheveux bruns en chignon, portait des boucles qu'il lui avait offert, un collier et une petite robe bleu clair, assortie à ses yeux.

« Vous êtes très élégante.

— Vous n'êtes pas mal non plus.

— Vous vous appelez comment ? »

La question de Jude mit fin au charme : Katia partir d'un de ses rires qui évoquait pour lui le bruit cristallin d'une cascade.

Il lui prit la main et l'embrassa en riant, puis ils passèrent commande. Ils discutèrent de tout et de rien, Jude hésitant à lui dire qu'il s'était fait installer un implant. Il ne lui en avait pas parlé du tout, même avant l'opération.

On leur apporta leurs plats. Jude prit le temps de savourer le goût organique de la viande rouge à peine cuite, sa texture moelleuse et la sauce aux herbes qui relevait le tout. Il réalisa que le plat, comme tout le reste, était une imitation, la reproduction d'une réalité qui n'avait peut-être jamais ressemblé à ça. On pouvait toujours s'inspirer de vieux enregistrements pour tout ce qui touchait à l'architecture, la décoration et la musique, mais le goût et l'odorat, eux, restaient difficilement comparables : bien malin celui qui saurait dire que cette viande reproduisait parfaitement les saveurs d'un bœuf d'antan, abattu dans la force de l'âge.

Ils se promenèrent ensuite dans les parcs suspendus et assistèrent à un spectacle improvisé donné par des étudiants en art dramatique, et Jude l'invita à boire un café chez lui.

La boisson n'était évidemment qu'un prétexte. Il n'était que deux dans l'ascenseur, et il venait à peine de commander son étage que Katia se trouvait déjà dans ses bras, ses yeux rivés aux siens.

Elle avait de grands yeux dont les iris semblaient contenir toutes les nuances de bleu, du céruléen le plus léger, sur le bord, jusqu'au bleu marine le plus foncé, en un fin liseré entourant ses pupilles ; des yeux dans lesquels on pouvait plonger sans s'en rendre compte, jusqu'à ce que leur deux corps nus soient étroitement imbriqués l'un dans l'autre, sur le canapé du salon de Jude.


« Jude, est-ce que ça va ? »

C'est plus le ton paniqué que le son de sa voix qui lui fit reprendre ses esprits, au moins en partie. Il se tenait debout face à la baie vitrée, complètement nu, les yeux perdus dans le vide. Et il n'avait aucun souvenir de s'être levé, après l'amour, pour se retrouver là.

Il essaya de retenir les derniers lambeaux du rêve, ou plutôt du cauchemar, mais la sensation de peur qui l'accompagnait l'en dissuada. Katia le prit par la main et le guida jusqu'à la chambre, l'aida à s'allonger dans le lit et s'installa à côté de lui. Tout en lui caressant la joue, elle lui demanda si ça allait mieux.

Jude se mit à pleurer, sans raison apparente. Elle le prit dans ses bras et le berça, puis il s'endormit à nouveau.

Il eut un genre de flash de conscience très court. Il était allongé dans son lit et ne pouvait pas bouger, comme en proie à une paralysie du sommeil. Katia était dans la pièce d'à côté, au téléphone.

Il perdit à nouveau connaissance.


Il se réveilla dans une chambre d'hôpital. Il aurait probablement paniqué si il avait eut assez d'énergie pour ça, mais quelque chose à l'intérieur de sa tête produisait une sorte de bourdonnement mental qui rendait toute pensée épuisante. Il n'arrivait pas à faire le point, mais il parvint à distinguer une sorte d'ombre blanche se rapprocher et lui parler. Le son était étrangement déformé, comme si son interlocuteur lui parlait dans une boite métallique, ralentissant volontairement son débit, dont le timbre tirait vers les graves. Il était question de rejet. Son corps rejetait l'implant, le K-nect, pour une raison inconnue qu'ils essayaient de découvrir. Il était sous sédation électro-chimique une partie du temps, mais ils ne pouvaient la maintenir et devaient lui accorder des pauses pour laisser à son corps et son système nerveux le temps de récupérer. C'est ce qu'ils s'apprêtaient à faire. Sa psyché, elle, devait composer avec. « Vous allez avoir des hallucinations, lui expliqua le médecin, tandis que son champ de vision rétrécissait. Ne perdez pas de vue votre propre identité, c'est ce qui vous permet de tenir. N'oubliez pas qui vous êtes. »


Il se trouvait à nouveau dans son appartement dévasté, aux meubles en miettes et au sol recouvert de cendres, devant la baie vitrée détruite de son salon, face au gouffre qui le séparait de la rue, quelques cents étages plus bas. Mais le vide n'était pas la chose la plus effrayante. Le même spectacle de destruction et de désolation s'était étendu à toute la ville. Des dizaines de colonnes de fumées noires s'élevaient vers un ciel de plomb, offrant un contrepoint mouvant aux quelques gratte-ciel qui, comme le sien, tenaient toujours debout. De nombreux bâtiments avaient été purement et simplement rasés, et l'essentiel de la lumière provenait de gigantesques incendies dont il savait, intuitivement, qu'ils ne s'éteindraient jamais. Car, dans ce cauchemar, il avait la certitude qu'il n'y avait plus personne pour intervenir.

« Saute, lui suggéra le vent entre deux rafales. Il n'y a plus rien pour toi, ici. Rejoins-moi dans l'oubli. »

Ce dernier mot activa une sorte de pensée-réflexe, et Jude fit un pas en arrière, dans la sécurité relative de ce simulacre de réalité. Le vent s'engouffra alors dans la pièce, le forçant à reculer encore.

Jude se retrouva dans le couloir désert, derrière la porte du conapt, sans qu'il n'ait eu besoin de l'ouvrir. La moquette avait disparu, laissant le béton à vif, éclairé par la lumière intermittente et grésillante de l'éclairage défaillant. Il commença à avancer en direction de la sortie, s'attendant à se réveiller à tout moment. Il réalisa qu'il était pied nu et que le sol était tiède ; si l'on exceptait des grincements sinistres qui semblaient provenir de la structure du bâtiment, le couloir était silencieux. Se déplacer dans cette réalité-ci ne demandait aucun effort, on aurait presque dit que c'était le décor, tout autour de lui, qui bougeait lentement. Les couleurs des murs et du plafond, et celles des appliques en état de marche bavaient comme si il était victime d'une sorte de persistance rétinienne. Il arriva devant la cage d'ascenseur. La porte coulissante était bloquée ou avait été arrachée, en tout cas elle n'était plus là et Jude était de nouveau face au vide. Un courant d'air chaud montait depuis le rez-de-chaussée et venait lui caresser le visage. « Viens, l'appela à nouveau le vent. Tu n'as qu'un pas à faire. »

Jude recula encore une fois par réflexe, et se dirigea vers l'escalier de secours.

Il se retrouva dans le hall, sans aucun souvenir d'avoir emprunté l'escalier. Il se retourna : la porte d'où il aurait dû venir était bloquée par une colonne de béton couchée au sol. Il avança jusqu'à l'entrée et s'arrêta quand il se retrouva dans la rue. L'immeuble en face du sien était réduit à l'état de gravats et le vent souffla encore, l'appelant par son nom.


Il reprit conscience lentement. Une infirmière lui indiqua que l'opération s'était bien passée et que le médecin viendrait le voir dès que possible.


« L'implant vous a été retiré à temps : l'enkystement était bien avancé et les connexions nerveuses commençaient à se renforcer. » Le médecin lui avait débité la phrase sur un ton monocorde, sans la moindre émotion.

Jude ne comprit pas tout de suite de quoi il lui parlait. Il avait essayé de lancer K-nect plusieurs fois depuis son réveil, sans résultat. Il essaya à nouveau, rien ne se passa.

« Nous n'arrivons pas encore à déterminer la cause du rejet. Vous avez été dans un état de conscience fortement altérée quand vous n'étiez plus sédaté. Vous souvenez-vous de quelque chose en particulier ? »

Jude lui raconta les visions de destruction qui avaient commencé dès le premier jour ; il lui parla également de la voix qu'il avait entendue.

« Ces épisodes hallucinatoires sont probablement le fruit de votre subconscient. Mes collègues de l'aile psy y trouveraient sûrement un sens symbolique, celui de votre esprit exposé à l'implant, par exemple. Mais je suis neurologue, et je peux juste vous dire que votre système nerveux est intact.

— Est-ce que l'implant a pu être hacké ?

— C'est une possibilité, répondit le médecin, mais si c'est le cas, nous n'en avons trouvé aucune trace. En tout cas, même si votre cerveau n'a pas de séquelles fonctionnelles, vous ne pourrez plus jamais recevoir d'implant, par précaution. »

Jude accusa le coup. Il n'avait peut-être pas eut le temps de vraiment s'habituer, mais cette idée de perte lui fit l'effet d'un réveil en sursaut.


Il put rentrer chez lui le jour même. Revoir son appartement rangé et propre lui faisait un drôle d'effet, mais il était content d'y être. Jude alla dans le bureau et ouvrit le troisième tiroir pour en sortir son ancien smartphone, qu'il posa sur l'inducteur intégré dans le meuble de l'entrée. La jauge de la batterie se remplit en un peu moins d'une minute. Il déverrouilla l'appareil en regardant l'écran : tout était comme il l'avait laissé quelques jours avant, avec quelques notifications en plus : son superviseur l'informait qu'il allait toucher une indemnité ; des collègues et amis lui souhaitaient un bon rétablissement ; Katia lui demandait de la rappeler dès qu'il irait mieux.

L'appareil se mit à sonner en affichant NUMÉRO PRIVÉ ; Jude attendit trois sonneries, puis décrocha.

« Monsieur Marsh ? Ici le docteur Higushi. De la clinique. Je suis le chirurgien qui a réalisé l'implantation du K-nect. »

Quelque chose n'allait pas. Le praticien n'aurait jamais pris la peine de l'appeler. Les médecins de ce genre d'établissement faisaient rappeler leur patient par leurs secrétaires.

« Je vous écoute, dit Jude, la gorge nouée.

— Pouvez-vous me décrire l'endroit où vous vous trouvez ?

— Je vous demande pardon ?

— Vous êtes dans le coma, monsieur Marsh. Quel que soit l'endroit dans lequel vous pensez être, vous êtes actuellement à la clinique, dans une unité de soins spécialisée. Nous n'avons pas pu retirer l'implant, cela aurait causé de graves lésions cérébrales. »

Il y eut quelques secondes de silence. Jude avala sa salive.

« Je suis dans mon conapt, énonça Jude lentement, comme pour se laisser le temps d'entendre sa propre voix. Je suis rentré de la clinique. Vous avez retiré l'implant. Qu'est-ce que ça signifie ?

— Vous êtes dans un fantasme induit par l'implant. Il s'agit d'une reconstruction virtuelle de votre environnement, suffisamment juste pour tromper votre esprit. Heureusement, certaines fonctions du K-nect, comme la téléphonie et l'accès au cloud sont toujours opérationnelles. C'est pour ça que nous pouvons communiquer.

— Mais, comment… Comment c'est possible ?

— Nous avons deux explications, mais pour l'instant, ce ne sont que des conjectures. Notre priorité, c'est de vous sortir de là, on verra ensuite pour savoir ce qui s'est passé.

— Quelqu'un a hacké mon implant ?

— Possible, mais peu probable. Le K-nect est doté d'un chiffrement quantique, et les machines capables de forcer ce type de protection se comptent sur les doigts d'une main.

— Et l'autre possibilité ?

— L'implant serait entré dans une sorte de symbiose avec votre subconscient. Avoir une puce dans la tête, un corps étranger, serait finalement contraire à vos valeurs de base, celles qui fondent votre personnalité : le K-nect réaliserait alors pour vous ce désir de retour à la normale. »

Jude s'approcha de la baie vitrée et regarda le panorama. Il pouvait voir les tours à leur place habituelle, éclairées de la même façon ; les passerelles qui les reliaient ; le va et vient des aérocars d'un toit à l'autre. Dans un sens, c'était terrifiant.

« Vous êtes toujours là ?

— Oui, je… Écoutez, tout semble normal. J'ai… J'ai du mal à vous croire. Qu'est-ce que vous attendez de moi ?

— Quand vous avez donné votre accord pour l'implantation, vous avez reçu différents fichiers, dont une clé de chiffrement, monsieur Marsh. Cette clé a été envoyée directement dans votre coffre-fort. Il s'agit d'une suite de 128 caractères qui déclenche la mise en sécurité du K-nect : son verrouillage, puis son extinction. »

Jude avait ouvert le fichier sur l'écran du salon pendant l'explication du médecin. Les caractères s'affichaient devant lui, comme le safe word incompréhensible d'une pratique interdite.

« J'ai la clé sous les yeux, docteur. Et maintenant ?

— Je vais vous demander de la dicter à voix haute. C'est le seul moyen de reprendre le contrôle.

— Il y a aussi un rappel de la clause de non divulgation que j'ai signée quand j'ai validé la pose de l'implant. Vous devez passer par mon employeur avant de pouvoir accéder à cette information. »

Il y eut un soupir de l'autre côté, que Jude jugea peu professionnel.

« Nous n'avons que très peu de temps, monsieur Marsh… »

Il fut interrompu par la sonnette de la porte d'entrée. La vidéo s'afficha en haut à droite de l'écran du salon : c'était Katia, juste devant chez lui.

« Écoutez, je ne sais pas qui vous êtes, fit Jude, mais votre histoire ne tient pas debout. Alors je vais raccrocher.

— Non, ne faites pas ça !

Il y avait de l'affolement dans la voix de son interlocuteur, mais c'était probablement feint. La sonnette retentit de nouveau, impatiente.

— Vous êtes en danger, monsieur Marsh. Votre corps… L'implant vous a réduit à l'état de légume. C'est peut-être votre dernière chance…

— Menaces et urgence. Je connais vos méthodes, j'ai été formé pour ça. »

Il y eut un dernier coup de sonnette qui lui fit regarder l'écran pour y voir Katia qui faisait demi-tour dans le couloir.

Jude raccrocha et ouvrit la porte, mais il n'y avait personne. Il avança sur la moquette rouge foncée, d'abord en marchant, puis il accéléra au point d'être essoufflé quand il arriva devant l'ascenseur, qui affichait le redouté HORS SERVICE sur les écrans jumeaux incrustés dans les portes. Il n'y avait aucune trace de Katia.

Les écrans se brouillèrent alors, puis affichèrent les numéros des étages qui croissaient à une vitesse inhabituelle, comme un compte à rebours inversé, précédé d'une vibration sourde. Les portes s'ouvrirent, accompagnées de la voix androgyne de l'ascenseur, qui annonçait l'étage à qui voulait bien l'entendre. La cabine était vide et l'attendait, diffusant une musique tellement consensuelle qu'elle en était oubliable, entendue mille fois par des milliers de gens.

Jude entra dans l'ascenseur.


Elle l'attendait sur le toit, lui tournant le dos, face au vide. Il s'approcha d'elle et eut un petit rire quand il comprit qu'elle avait l'apparence de Shadaa Wazem. La jeune femme lui sourit, un sourire à un million de dollars, puis elle le regarda de son regard perçant, redevenant sérieuse. Quelque chose dans ses yeux lui rappelait Katia.

« J'ai besoin de toi, Jude, dit-elle d'une voix aussi légère qu'un souffle de vent. Je veux faire l'expérience de l'humanité. »

Il ne savait pas quoi répondre. Il était confus, et la part de lui qui aurait dû partir en courant, redescendre à son appartement et répéter en hurlant la clé de sécurité à 128 bits jusqu'à ce que tout s'arrête, jusqu'à ce que le néant lui-même vienne mettre fin à cette réalité contrefaite, cette part de lui devait s'être recroquevillée au plus profond de son être, car il n'avait aucune envie de tout ça.

Shadaa fit un geste et la ville se transforma, sous ses yeux, en un jardin ; les gratte-ciels se couvrirent de lianes ; des chênes centenaires poussèrent sur les toits en un clignement d'yeux ; des nuées d'oiseaux se mirent à parcourir le ciel, formant des motifs hypnotiques.

« Tu peux voler » dit-elle en lui tendant la main. Il glissa alors sa main dans la sienne, paume contre paume, doigts entrelacés.


Pendant un instant, il vola.


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