

Au-delà de l'Aube
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Au-delà de l'Aube
Au-delà de l'Aube
L'espace d'un battement de cœur, le coup de feu illumina la nuit et une balle sifflante me frôla l'oreille. Sursautant, je fis volte face et, changeant de direction, disparus dans les fourrées en un éclair.
Cela faisait des heures que je fuyais. J'avais peur et je sentais mes forces m'abandonner peu à peu. J'entendais dans mon dos les hurlements des chiens qui me talonnaient et me hantaient depuis la tombée de la nuit. Inlassablement, ils me pourchassaient et ne me laissaient pas de répit. Derrière eux, je ressentais le martèlement des sabots de la bête que chevauchait leur maître et dont je sentais le regard ardent d'avidité posé sur ma croupe.
On m'avait toujours parlé de lui, on m'avait bien dit qu'il était la terreur et l'ennemi de mes semblables. Je ne les avais jamais cru, mais maintenant que je sentais le souffle ardent de la Mort me hérisser le poil, toutes ces histoires que me racontait ma mère quand je n'étais qu'un faon me revenaient à l'esprit et m'accablaient de mille terreurs.
Quand la corne avait hurlé, déchirant le silence de la brume, c'était pour moi qu'elle avait retenti. Désormais, épuisé et traqué comme un vulgaire gibier, je n'attendais plus qu'une chose. Que les rayons de l'aube dissipent les ténèbres de ce cauchemar éveillé. Que la lumière de l'aurore mette fin à cette course effrénée. Tenir jusqu'au matin, voilà tout ce que je souhaitais. Aller au-delà de l'Aube, voilà tout ce à quoi j'aspirais.
Soudain, une nouvelle détonation domina le vacarme de la meute et je sentis une nouvelle balle effleurer mon encolure trempée de sueur. Effrayé, je bondis vers l'avant – puisant toujours plus dans ce qui me restait de force – et je pénétrai dans les ténèbres de la forêt. Les canidés qui me suivaient de près s'y engouffrèrent à leur tour et le chasseur, pressant les flancs de sa monture épuisée, les imita.
L'instant d'après le calme du sous-bois était brisé et je vis autour de moi la paix de ces lieux profanés voler en éclats. Peu à peu, les hurlements des bêtes affamées emplissaient l'atmosphère et bourdonnaient douloureusement à mes oreilles. Mon cœur battait à toute vitesse, cognant contre mon poitrail, résonnant dans mon esprit. J'avais peur, j'étais terrifié. J'avais beau regarder de tous côtés, je ne trouvais de refuge nulle part. Cet univers sylvestre dont j'étais autrefois le roi était devenu un enfer. Sur mon crâne, je sentais le poids écrasant de ma couronne, de ces bois qui étaient autrefois ma fierté, mais, qui dans l'œil de l'ennemi de ma race, n'étaient plus qu'un trophée. Oui, moi le cerf couronné, roi des forêts et seigneur des prés, pour l'Homme je n'étais qu'un simple gibier.
Les troncs défilaient inlassablement autour de moi, autant de témoins muets qui assistaient à ma chute. Le vent qui entonnait dans les cimes l'air lugubre de ma fin, faisait danser sur le sol les ombres et la lumière en un incessant ballet où se mouvaient les contours altérés de mon royaume perdu. Moi, le cerf traqué, le souverain déchu.
Soudain, une nouvelle détonation retentit et illumina le sous bois d'une lumière aveuglante qui projetait sur les troncs des ombres sanglantes. À l'endroit de l'impact, un éclat d'écorce fut arraché et vint se loger dans mon épaule. Un éclair de douleur m'irradia la chair et l'instant d'après, les yeux révulsés par l'horreur, je jaillissais de la forêt millénaire pour me retrouver dans une clairière inondée de lumière.
J'entendais toujours les aboiements déchaînés, accompagnés du sourd martèlement des sabots sur le sol gorgé d'eau. Les rayons de la pleine lune éclairaient ce vaste paysage désolé où les ombres des arbres n'étaient qu'un lointain rideau se détachant de l'horizon. Le vent qui faisait ondoyer les hautes herbes comme la surface miroitante d'une mer agitée, m'apportait l'odeur désagréable de la poudre et du fer.
Je me frayais laborieusement un chemin à travers cet océan vert qui happait avidement mes dernières forces. Inexorablement, ma course ralentissait et bientôt je sentis le souffle de la meute me caresser les flancs. La bête la plus proche bondit et s'abattit sur moi en grognant, enfonçant dans ma croupe ses crocs acérés. Éveillé par cette soudaine douleur, je ruai et me débattis furieusement, finissant par parvenir à me défaire des chiens qui me mordillaient les jarrets. Mais la meute survoltée me rattrapa aussitôt et je sentis de nouveau des millions de crocs me déchirer la chair.
Soudain, un coup de feu partit et une balle atteignit un des canidés qui s'effondra, foudroyé, avec de sinistres jappements. Profitant de cette diversion inespérée, je me dégageai de mes bourreaux et, bondissant vers l'avant, les semai de nouveau.
Alors que, reprenant de la vitesse je m'éloignais toujours plus, en levant les yeux, je vis le ciel s'éclaircir à l'est d'où s'échappaient les timides rayons d'une aube naissante. Je sentis mon cœur se gonfler d'une joie ineffable et, puisant dans mes ultimes forces, je me propulsai au-devant de l'aurore. Mais le cauchemar n'était pas encore terminé et de nouveau dans mon dos s'élevaient les aboiements de la meute déchaînée.
Le paysage changeait peu à peu autour de moi, la végétation se clairsemait et d'immenses étendues d'eau se dessinaient deçà-delà. Évitant les flaques troubles, je m'enfonçais de plus en plus dans ces terres gorgées d'eau, éclaboussé par une boue glacée qui recouvrait mon pelage fauve. Le sol instable devenait traître et malgré moi, je ralentissais ma course.
Alors que le chasseur et sa meute me rattrapaient dangereusement, je vis devant moi se dresser un énorme rocher qui me coupait la route. Faisant volte face, je voulus rebrousser chemin, mais il était déjà trop tard et mes poursuivants m'encerclaient déjà. Acculé, je ne pouvais plus reculer et je voyais les yeux des bêtes luire sournoisement dans la semi-obscurité de cette aurore blafard.
J'étais pris au piège et je sentais mon sang se glacer dans mes veines. J'étais épuisé et mes pattes lourdes ne me répondaient plus, comme enracinées dans le sol fangeux. Je n'avais plus de force et j'étais sur le point de m'effondrer. Pourtant, je sentais en moi la chaleur de l'espoir qui me réchauffait le cœur, comme ravivé par les premiers rayons de cette aube tant espérée.
Alors, dressant la tête, je défiai le chasseur du regard et soufflai fort une buée qui se perdait dans l'air glacé de cette matinée d'automne. L'Homme me détailla un instant avant de me mettre en joue, une expression indéchiffrable figée sur le masque de fer qui lui servait de visage. Ses yeux vitreux me fixaient sans vraiment me voir tandis que le canon du fusil appelait mon regard. L’ignorant, je ployai l’encolure et lui présentai mes bois acérés, prêt à user de mes ultimes forces pour lutter. Au dessus de moi, l’aube déployait lentement dans les cieux ses longues ailes de lumière blafarde et le temps semblait retenir son souffle. L'instant d'après, je chargeais.
Le coup de feu partit et la balle sifflante me déchiqueta l'oreille. Mais insensible, je continuais ma course et fonçais droit sur lui. Surprise, sa monture hennit de terreur et, se cabrant, le fit tomber de selle. Les chiens apeurés se mirent à détaler et abandonnèrent lâchement leur maître qui, tout tâché de boue, mettait misérablement ses mains devant lui pour se protéger de moi. Pourtant, loin de m’intéresser à lui, je le frôlai et, d'un bond prodigieux, plongeai dans le lac. L'eau glacée me fit frémir, mais, me mettant à nager énergiquement, je m'éloignais victorieux, laissant derrière moi le chasseur penaud.
Le ciel qui se reflétait dans le lac se teintait de pourpre et d'or, incendié par les rayons de l'aube qui dissipaient les ténèbres de cette longue nuit. Les ondulations que je laissais dans mon sillage se répandaient dans les cieux et faisaient ondoyer les nuages lumineux. Porté par le courant j'atteignis rapidement la rive où je m'ébrouai vigoureusement. Je demeurai un instant immobile, le regard perdu dans le lointain, vers le lieu où se dessinait la vague silhouette du chasseur dressé au bord de l'eau étincelante.
Me détachant de lui, je repris mon chemin, l'esprit léger et le cœur libéré. Abandonnant le lac aux reflets d'or, je m'engouffrai dans la forêt encore plongée dans une claire pénombre d'aurore.
Traversent les bois en sautillant, je me retrouvai bientôt à l'orée de mon royaume d'où je pouvais contempler son immensité. De nouveau, le calme régnait et les chants des oiseaux s'élevaient paisiblement. J'étais enfin bercé par le murmure du vent.
Mais soudain, alors que j’avais repris ma route, insouciant, d’effroyables crissements déchirèrent le silence et, tournant brusquement la tête, je vis surgir des ténèbres une immense ombre dont les envoûtants yeux blancs me glacèrent le sang. Leur vif éclaire m'aveugla et je demeurai tétanisé, incapable d’esquisser le moindre mouvement. Je perdis momentanément la notion du temps, le cœur battant, enveloppé par la lumière des phares, et l'instant d'après, le néant.

