

Le chant des étoiles
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Le chant des étoiles
Les étoiles chantaient. Il ne les entendait pas, mais il pouvait les voir. Les géantes rouges et leur voix de basse ; les pulsars et leur rythme de métronome ; les naines jaunes et leurs trilles à haute fréquence.
Il les voyait chanter quand il sortait sur la coque de son vaisseau. Il faisait quelques pas en apesanteur, ses bottes magnétiques le gardant au contact du métal, puis il désactivait les électroaimants et s'allongeait. Il buvait leurs chants de photons et écoutait leur lumière mélodieuse jusqu'à ce que le froid devienne presque insupportable. Alors il se relevait et retournait dans le cockpit.
Il s'installait au poste de pilotage et regardait ses écrans, la cadence à laquelle les messages clignotaient, les alertes qu'il ne pouvait acquitter et les valeurs nominales qu'il n'atteindrait plus jamais.
Il avait éjecté le réacteur quelques secondes à peine avant qu'il n'entre en fusion et profitait maintenant d'une vitesse aussi constante qu'indécente, quelque part au-delà de Jupiter.
Il regarda à nouveau le compteur de vitesse, dont les chiffres immuables semblaient imprimés directement sur le polymère du moniteur depuis plusieurs heures déjà. Et, comme à chaque fois qu'il répétait ce rituel, il se fit la réflexion qu'il était devenu l'homme le plus rapide du système solaire.
Il avait à peine entamé les batteries. Par un phénomène inexpliqué, elles étaient restées chargées à bloc quelques heures après l'accident, et n'avaient commencé à se vider que très récemment. Il ne manquerait pas d'énergie, ni pour les afficheurs, ni pour le chauffage.
En revanche, ses réserves d'oxygène, comme celles de l'eau, se réduisaient régulièrement. Il se demanda laquelle de ses deux variables aurait raison de lui la première.
Il avait pompé l'air de l'habitacle pour éviter les pertes dans le cas où il y aurait eu une dépressurisation, puis l'avait laissé là où il était, en sécurité dans les bonbonnes d'aluminium installées dans la double coque. Il rechargeait régulièrement son airpack. Cela lui permettait de suivre sa consommation, et autant que faire se peut, de se rationner. Ce qui consistait à dormir le plus clair du temps.
Il se demandait aussi comment son organisme avait résisté à la formidable accélération de son propulseur principal, poussé largement au-delà de ses limites. Il se repassait le journal de cinétique. La vitesse augmentait autrement plus vite que les secondes ne s'égrenaient sur la grille horaire : c'était à peine croyable.
Il éteignit les écrans et inclina son siège pour observer les étoiles par la verrière. Il se fit la réflexion que, paradoxalement, son métier l'avait privé de leur lumière. À force de les voir, il ne les regardait plus. Il en était de même pour le vide spatial. Entouré de toute cette technologie, il avait fini par oublier qu'il passait une bonne partie de son temps dans le milieu le plus hostile qui soit. C'était le royaume des extrêmes, dont la notion de moyenne était absente : un endroit brûlant ou glacial, saturé de radiations, privé de gravité et de pression. Les notions abstraites auxquelles on se raccroche quand on se trouve en perte de repères n'avaient plus cours ici : pas plus de haut que de bas, de zénith que de nadir.
Il songea que rien, dans le cockpit, ne lui appartenait, sauf peut-être sa propre vie.
Il pourrait vite en finir. Il n'avait qu'à sortir, bloquer la soupape du airpack avec la main droite et tirer sur le levier de son casque. La combinaison se viderait en quelques secondes, et sa mort serait rapide. Mais qui s'occuperait du vaisseau?
Il se mit à penser à ce qu'il laissait derrière lui. Il repensa à ses maîtresses, au bon temps qu'il avait pris et aussi, parfois, à la souffrance. Il pensa aux enfants qu'il n'aurait jamais et à l'impression de vide douloureux que cela laissait.
Il pensa qu'il avait toujours été second, jamais premier ; suppléant, mais jamais délégué ; cadet, mais jamais major ; lieutenant, mais jamais capitaine. Remplaçant, mais jamais titulaire : c'est une mauvaise grippe du pilote qui lui avait valu l'honneur de prendre les commandes.
Il se dit en souriant que la seule fois où il raflait enfin la première place - et de loin, de l'ordre de quelques centaines de millions de kilomètres - ce jour-là, il ne pouvait même pas en profiter autrement qu'en regardant encore et encore les chiffres de son record, qui resterait probablement invaincu pendant longtemps.
Sauf que, du fait que l'antenne avait grillé lors de l'éjection, ce record n'appartiendrait qu'à lui. Impossible de communiquer ces chiffres et donc de devenir autre chose qu'une note de bas de page dans un manuel pour pilote d'essai. Impossible, non plus, de donner sa position, d'émettre le moindre appel de détresse, à supposer qu'on puisse venir le chercher aussi loin.
Et de toute façon, la couronne de laurier ne venait coiffer que la tête du premier à franchir la ligne d'arrivée ; c'est une clause du contrat qu'il ne pouvait plus honorer.
Toute sa vie, il avait fait les choses uniquement parce qu'il pouvait les faire. C'était comme de remplir une coupe percée : si le récipient et le liquide pouvaient changer, le geste, lui, était toujours le même.
Il comprit alors qu'atteindre la première place n'était pas une fin en soi.
Il s'endormit probablement et rêva peut-être.
Il regarda le chronomètre, se leva et sortit à nouveau. Il savait qu'il perdait de la chaleur à chaque fois ; il avait de plus en plus froid.
À nouveau, il fit quelques pas et s'allongea sur la coque. L'univers est bien connu pour proposer des vues littéralement imprenables ; mais pour une fois il y avait quelqu'un pour en profiter. Il se dit que, d'une certaine façon, c'est pour lui que les étoiles chantaient, depuis leur orbite que les hommes avaient toujours rêvé d'atteindre. Les étoiles chantaient pour lui, toutes en éclats et longueur d'ondes, comme un memento mori.
Il ferma les yeux.
illustration ArtificialGeek_Studio

