Congratulazioni! Il tuo sostegno è stato inviato con successo all'autore
avatar
Coeur de Pierre

Coeur de Pierre

Pubblicato 15 dic 2025 Aggiornato 15 dic 2025 Romance
time 10 min
0
Adoro
0
Solidarietà
0
Wow
thumb commento
lecture lettura
0
reazione

Sa démarche, vue de loin, ressemble à une chorégraphie de danse moderne. Ses mouvements quasi mécaniques envoient un message inconscient et anonyme à l’univers : trois petits pas, non pas celui-là, trois plus longs en espérant que celui-ci soit le bon, trois plus courts pour chercher alentour.

Ses yeux scrutent la plage de galets comme un orpailleur fouille le fond d’une rivière à la recherche de la pépite. Le regard rivé sur tous ces cailloux ballottés par des millions de vagues successives, la tête basse, Ève ne voit pas le soleil qui va bientôt plonger de l’autre côté de l’océan. Son cou est tendu, à la limite de se briser, le crâne un poids lourd dépassant de ce foulard qui la gêne, le cerveau embrumé par la recherche d’un seul motif.

Elle se baisse, s’assoit à croupetons, en position enfant (enfant qu’elle espère avoir un jour). Une pierre, usée par le temps, unique au milieu des autres, répond à tous les critères : une pointe (un peu trop allongée, mais tant pis) surmontée de deux formes arrondies — elle ressemble à un cœur. Ève ramasse le galet délicatement, le caresse d’abord avec le pouce, le dépose dans sa paume gauche, puis fait glisser la pulpe de ses doigts sur la surface lisse. Contente, mais pas pleinement satisfaite, Ève continue de fouiller tout autour d’elle, méthodique, pierre après pierre.


— Bon, c’est pour bientôt ?

Paul veut passer à autre chose. Il pensait faire plaisir avec une promenade avant le crépuscule, mais Ève n’en a que faire : elle a vu le soleil couchant des dizaines de fois. Trop couverte ou nue, à marcher main dans la main ou seule à courir sans but, pleurant sur un pont ou poussant des soupirs, c’est toujours le même spectacle qui se répète inlassablement.

— J’arrive !

Ève dépose le galet dans la poche de sa veste de laine, par-dessus la demi-douzaine de cœurs de pierre déjà ramassés depuis une heure, et se lève d’un bond pour rattraper le nouvel homme de sa vie. Même s’ils se fréquentent depuis plus d’un an maintenant, ils habitent encore chacun de son côté (on ne se précipite plus, passé trente ans).

Petit Paul, c’est comme ça qu’on le surnomme, ne dépasse sa copine que des chaussures aux pieds. Il aime quand Ève, en sous-vêtements, l’embrasse le matin d’une nuit passée ensemble alors qu’il se dépêche d’aller au travail. Petit Paul s’est bien habillé pour cette soirée — il porte sa chemise de coton préférée, les manches retroussées, malgré l’air frais —, et il sent bon. Il sent bon, mais il se sent mal. Un je-ne-sais-quoi, une impression diffuse, l’empêche d’être vraiment heureux lorsqu’il passe du temps avec Ève.


Paul regarde l’heure sur sa montre en titane pour une énième fois, jette un œil au stationnement (des fois qu’il s’éloignerait, poussé par une énergie noire), et contourne un paquet d’algues en décomposition pour se rapprocher de l’eau. Arrivé à quelques pas du bord, il déplace et retourne des cailloux du bout du pied, se baisse pour en prendre un et le laisser tomber aussitôt.

Quand Ève le rejoint enfin, Paul ramasse un ultime galet, très plat. En forme de cœur.

— Fais voir !

— Quoi ?

Un ange passe.

Paul ouvre la main à contrecœur.

— On s’en fout, tu en as déjà des tonnes.

Il lève la jambe gauche et la projette en avant comme le ferait un lanceur de baseball.

La mer est d’huile ce soir, le vent est tombé.

La main de Paul fouette l’air.

Le galet ricoche une dizaine de fois puis plonge dans l’eau et perturbe, par de petits cercles concentriques, le reflet du soleil couchant.

— Treize ricochets ! C’est ma soirée ! Allez, viens, on va être en retard ! (Il n’y a eu que onze rebonds, mais Ève ne les a pas comptés)

Paul prend son amoureuse par la main et l’entraîne maintenant, la tirerait presque.

La jeune femme n’arrive pas à le suivre. Les bras se tendent d’abord puis les paumes se décollent et les doigts se délaissent, mais Paul marche toujours d’un pas rapide, sans se retourner.


Trois heures plus tard, dans un pub irlandais noyé sous une musique sans nom, Paul prend son temps pour lancer sa troisième fléchette — sa victoire en dépend. La cible atteinte, des poings se lèvent et des cris sont lâchés : « Yes ! » rugit Paul. Les hommes trinquent à cette dernière partie, des gouttes de bière noire éclaboussent le plancher de bois tout près des pieds d’Ève. Elle ne sourit pas. Son regard est perdu entre le reflet des néons rouge et vert sur le comptoir de zinc — elle s’ennuie ferme, ne comprend pas qu’on s’extasie devant un geste un peu précis.

Quand Paul vient chercher un baiser pour fêter sa victoire, une brise froide lui murmure à l’oreille :

— On y va ?

— Non, attends ! Ils veulent prendre leur revanche. Je gagne, là. Tout le monde s’amuse.

— Je m’ennuie.

— Vas-y alors ! Je reste. Quelqu’un me ramènera.

Le son de ces derniers mots n’a pas encore atteint les tympans de sa copine que Paul tourne déjà la tête vers les autres, à la recherche de regards attentionnés. Il se déplace d’un pas vers le centre du groupe pour se joindre à la conversation et lancer une phrase toute faite, mais qui déclenchera les rires de l’assemblée. Il ne voit même pas Ève remettre sa veste et quitter le bar, sans se retourner.


Plantée devant la sortie du pub, Ève laisse la lourde porte de bois se refermer doucement derrière elle. Les lampadaires du stationnement dessinent des ombres statiques au milieu d’une terre brûlée. Sans savoir pourquoi, la jeune femme regrette de ne pas avoir mis de chaussures à talons ce soir (des souliers peu adéquats pour marcher sur une plage de galets).

Ève traverse le stationnement d’une ligne courbe, comme attirée par quelque chose de prodigieusement massif. Ses yeux ont noté une altération au niveau du sol desséché : une oasis au pied d’un projecteur, une tache de trèfle. Il y a des moments dans la vie où l’esprit suit le corps, et non l’inverse : Ève vient d’entrer dans cet état de conscience. Elle ne pense à rien, n’anticipe ou ne contrôle aucun de ses gestes. Elle s’accroupit, hypnotisée par le trèfle blanc, le fouillant du regard et d’une main décidée. Chaque tige porte en son extrémité trois feuilles, comme trois petits cœurs serrés.

Et là, au milieu de tous ces rejets identiques, au moment même où une voiture s’arrête derrière elle, Ève trouve un, puis deux, puis trois trèfles à quatre feuilles. Son pouls s’accélère, elle tombe sur les genoux et sourit.


Le conducteur coupe le moteur sans éteindre les lumières. Ève semble prise dans les phares, comme un animal au milieu de la route. L’homme jette un œil sur le stationnement et n’aperçoit rien ni personne ne pouvant expliquer la présence d’une femme dans cette position. Il descend lentement de son véhicule, hésite un peu puis s’approche :

— Vous allez bien ?

— Hein ? Ève caresse les plantes. Oui… oui, je vais bien.

— Bonsoir, je m’appelle Pierre. Je peux vous aider ?

Il fait un pas sur le côté, loin de la lumière des phares : il souhaite que la femme puisse le voir sans être aveuglée.

— C’est mon jour de chance, dit-elle en se tournant vers l’homme.

Ève pourrait commencer une collection de trèfles à quatre feuilles, mais elle décide de les laisser pousser là. Elle tasse un peu les plants à trois feuilles, pour faire de la place aux mutations, prend une dernière photographie mentale et tend la main vers Pierre afin qu’il l’aide à se relever.

— Je m’appelle Ève. Pourriez-vous me déposer ? Je passe la semaine pas très loin d’ici.

Elle fait le tour de la voiture d’un pas décidé, sans même attendre la réponse de Pierre.

— Oui. Oui, bien sûr… montez.


Quand Ève s’assoit, les galets dans la poche de sa veste s’entrechoquent dans un bruit sourd (elle les avait déjà oubliés). Elle prend les cailloux, un à un, et les laisse tomber par terre, comme si elle délestait un dirigeable.

Ève ferme enfin la portière et murmure à l’univers :

— Prête au décollage.

lecture 0 letture
thumb commento
0
reazione

Commento (0)

Devi effettuare l'accesso per commentare Accedi

Ti piacciono gli articoli su Panodyssey?
Sostieni gli autori indipendenti!

Proseguire l'esplorazione dell'universo Romance
Calfeutrage
Calfeutrage

Ici, c’est calme, calfeutré. Chaque objet est à sa place, mais quelque chose qui n’a rien de ra...

Angie Rodride
4 min

donate Puoi sostenere i tuoi scrittori preferiti

promo

Download the Panodyssey mobile app