

L'ondée
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L'ondée
Des gouttes s’étaient mises à tomber. Cela n’avait rien à voir avec l’eau coulant du ciel pour gonfler la terre, ouvrant les parapluies et mouillant le bout des chaussures. Cette pluie-là était toute particulière, emplie de mystère et paraissait irréelle.
C’est au détour d’une journée banale qui s’étirait vers le soir qu’elle était arrivée, sans bruit. Nul fracas à l’horizon. Pas même un nuage pour l’annoncer. Tout d’abord, il y eut une subtile modification de l’atmosphère, imperceptible pour qui n’est pas relié aux choses de la nature. Une douce impression de légèreté et de fraîcheur. Pas de celles qui font frissonner et resserrer un col ou rentrer le menton, plutôt une infime caresse emplissant les poumons d’un air nouveau. Puis une goutte s’était formée. Puis une autre. Et encore une, indiscernable à l’œil nu. Rapidement, une brume iridescente se fondait tendrement dans la réalité de celles et ceux qui se trouvaient là. La pluie piochait dans l’invisible et redistribuait en fine brumisation ce qui n’avait pas pu, pas su se partager ou s’offrir. Une incroyable harmonie chargée de pardon, d’amour, de nostalgie et de bienveillance se mit à circuler et enveloppa les passants. Les gouttelettes se posaient sur une joue, une épaule, diffusant l’infinie douceur d’une étreinte, d’un câlin de grand-mère aimante, et des notes de gâteau tiède flottaient dans leur sillage. Des mots tendres évaporés, qui n’avaient pas franchi les lèvres, furent délivrés dans cette rosée teintée d’une timide nuance pastel. Des gestes de soutien retenus et des élans de mains tendues laissés en suspens s’épanouirent enfin, délassant les épaules les plus abattues. Des regards qui ne s’étaient pas trouvés, un sourire compatissant qui n’avait pas osé se dessiner… toute cette belle humanité non exprimée, et que l’on aurait pu penser disparue à jamais du tumulte du monde, était en éclosion. Elle voletait gentiment au rythme d’une onde tranquille, cajolant les âmes, et les cœurs meurtris se trouvaient soudain abrités entre deux mains chaudes, tel un oiseau fragile et blessé finalement secouru.
Clément était de méchante humeur quand il rentrait des courses ce jeudi-là après une altercation fort déplaisante avec un homme arrogant confit d’irrespect. Il marchait d’un pas rapide, le nez vers le trottoir, maugréant entre ses dents serrées. La vie était féroce avec ce cœur de beurre élevé aux coups dans un gouffre affectif abyssal. Devenu adulte, maintes et maintes fois cabossé en chemin, il trimballait ses plaies béantes comme autant d’armures, dans un quotidien cruel. Ses talons martelaient le sol à chaque enjambée, revendiquant son droit d’arpenter la vie, quand un frémissement le fit ralentir. Il ne saisissait pas qui ou quoi, mais quelque chose l’avait effleuré. Il s’arrêta, jeta un œil derrière lui, puis en face, de l’autre côté de la rue. Personne à proximité. Une présence s’infiltrait pourtant en lui, crépitant finement sous sa peau, telle l’écume des vagues qui pétille autour des chevilles quand la mer se retire. Il ne comprenait pas ce qui se passait et, méfiant, dressait déjà mentalement son bouclier, tout en crispant ses poings autour du manche d’épées imaginaires. Il ne reconnaissait pas cette sensation nouvelle. Il voulait fortifier ses barricades, frapper le premier pour ne pas subir, mais là, c’était différent. Le sel de ses blessures passées cessait peu à peu de le ronger, à mesure qu’un fil ténu de paix intérieure ruisselait en lui. La pluie à l’œuvre, tel un artiste invisible maîtrisant parfaitement les subtilités du Kintsugi, venait consciencieusement combler les fissures de son être. Il finit par s’abandonner aux hydrométéores qui se propageaient, lui offrant un répit. Il lâcha un lourd soupir mélancolique, et, écartant les mains, inspira à pleins poumons cette quiétude inédite. L’eau n’effaçait pas son passé, ne modifiait rien de ses regrets, mais elle délivrait dans l’ébullition de ses gracieuses perles translucides le réconfort palpable d’un véritable foyer. C’était patent : il faisait partie du tout ! Il naissait pour la deuxième fois. Il était là, voulu, aimé, contenu. Il avait sa place.
Dans le jardin public, à l’autre bout de la rue, Madeline se reposait dans sa poussette. Elle observait une coccinelle, posée sur la robe de sa mère. Celle-ci la poussait tout en balayant régulièrement du doigt l’écran de son téléphone qu’elle scrutait attentivement. La coccinelle s’envola. La petite se redressa légèrement et tenta de la suivre des yeux, puis tourna la tête vers le visage familier, tendant l’index, à la recherche d’une attention conjointe qu’elle ne trouva pas. Elle se laissa retomber contre l’appui-tête. Un léger sursaut la parcourut quand le brouillard d’eau vint la cueillir. D’insaisissables gouttes chatoyantes virevoltaient au-dessus d’elle, et l’emmitouflèrent dans le délicat parfum de roses anciennes, enivrant et douillet, qu’elles émettaient. Elle leva son minois vers la myriade de petites bulles. Un immense éclat de rire insouciant et plein de cette pureté propre à l’enfance enfla son bedon, avant d’éclater franchement. Voir la joie étincelante qui inondait la jolie frimousse fit naître un sentiment profus de profonde gratitude chez sa mère. Ses traits se détendirent et s’illuminèrent à leur tour. Elle saisit la fillette dans ses bras et, la tenant contre elle, elle exécuta quelques pas d’une danse improvisée, remplie d’une gaieté complice et libre.
Derrière le haut mur du parc, Gaston, lui, avançait dans l’allée à pas lents et saccadés, penché sur sa canne en hêtre. Une fois arrivé devant la pierre tombale ornée de dahlias blanc, il retira son chapeau et le posa sur l’étroit banc derrière lui, ainsi que sa canne. Il attrapa le journal qu’il gardait glissé sous son bras. Il allait commencer sa lecture quand il crut entendre se faufiler dans les feuilles des arbres et entre les pétales des fleurs du cimetière une sorte de murmure. Il n’y avait pas un souffle de vent, pourtant. Il leva les yeux et observa un instant la végétation alentours. De calmes gouttes entourèrent respectueusement le vieil homme et la tombe fleurie, entretenue avec dévouement. Certaines d’entre elles ondoyaient en suspension, d’autres tombaient doucement, tels de légers flocons. Quand elles entraient en contact avec Gaston ou se posaient sur le granit froid, une touche de bonté sereine se répandait, et de frêles notes mélodieuses, presque inaudibles, étaient libérées.
— Tu entends ça mon bel amour ? fit Gaston au bout de quelques secondes d’un émerveillement confus. On dirait… on dirait notre chanson. Tu te rappelles ma douce ?
Il s’assit sans s’en rendre compte sur son chapeau. Sa main ridée battait la mesure, accompagnée du balancement des doux dahlias que sa femme aimait tant. Il fredonnait pour elle tout bas la musique au charme désuet de ce merveilleux souvenir, et, le temps d’un instant magique, ce fut comme si leur intimité renaissait. Une larme émue et apaisée roula jusqu’à son menton. Elle s’évapora avant même de toucher le sol.
La pluie cessa, comme elle était venue.

