

La mort prend des vacances
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La mort prend des vacances
Je me penche sur le prochain passager, toujours prête à accomplir cette formalité. Dans son cas, c'est l'arrêt cardiaque qui est son ticket de sortie. Mais voilà que, comme souvent, il se met à objecter :
- Non ! Ce n'est pas possible ! Je ne peux pas partir maintenant, j'ai encore...
- Reste calme. Ton heure est venue, que tu le veuilles ou non.
- Mais...
Je m'en détourne, lassée.
"Ils me fatiguent..."
Dire que ça fait une éternité que je me les coltine. Ils sont tous pareils... "la vie est compliquée, j'ai des impôts, mon fils et en prison, j'ai mal au dos gnagnagna !" Et voilà que lorsque je les libère du poids de leur fardeau, ils trouvent encore à redire.
Tenez, celui-ci par exemple, il a passé les vingt dernières années de sa vie à se bousiller de toutes les manières possibles : drogue, prises de risque inconsidérées, tentatives de suicide, j'en passe et des meilleures.
Il devrait être soulagé de me voir, depuis le temps qu'il m'appelle à tous les numéros... Hé ben non, j'ai encore droit au sempiternels « j'ai pas fini, je peux pas mourir maintenant, c'est trop tôt » et autres conneries du genre... Pfff ! Sont pénibles ces primates évolués quand même... Et je supporte ça tous les jours depuis des millénaires.
« J'ai besoin de vacances » comme ils diraient...
Et puis merde ! J'me casse. Il paraît qu'ils sont moins chiants ailleurs. Je vais me faire muter du côté de Proxima. Là-bas, c'est les vacances comparé à ce monde d'éternels insatisfaits. Qu'ils se débrouillent sans moi quelque temps... Et puis, j'ai bien mérité un peu d'éternel repos moi aussi, non ?
Puis il se passe le temps qu'il se passe. D'autres mondes, d'autres civilisations. Des êtres qui vivent leur vie sans râler et acceptent leur mort sans m'emmerder.
*
Tenez, prenez cette créature vivant sur Zoltar, la cinquième planète d'Unarania. Je me penche sur le prochain passager, toujours prête à accomplir cette formalité. Dans son cas, c'est une rupture du corleone qui est son ticket de sortie. Et voilà que, comme c'est souvent le cas ici, je suis accueillie avec respect et déférence :
- J'ai vraiment eu une belle vie, me dit-il. Et je suis heureux de la quitter, maintenant que j'ai terminé ce que j'étais venu faire en ce monde. Je vais veiller quelques années sur les êtres que j'aime depuis l'au-delà, et ensuite, j'irais bien faire un tour sur Terre pendant une vie ou deux...
- Sur Terre ? Ouf ! Sache que j'en suis revenue, c'est pas top là-bas. Une espèce humanoïde de revenants souvent parvenus. Ils ne veulent pas vivre leur vie, ils ne veulent pas mourir. Ils ne veulent que profiter, avoir le beurre, l'argent du beurre et le cul de la crémière. Ils veulent avoir une beauté naturelle, naturellement trafiquée. Obtenir le confort, sans jamais être rassasié. Quoi qu'ils obtiennent, ça ne leur convient jamais... Mais jamais !
- Ouh-la, tu n'as pas l'air d'aller très bien toi chère Mort. Tu nous ferais pas une petite dépression morbide ?
- Peu importe... Moi je te préviens, c'est tout... Mais, ce que j'en dis moi... D'ailleurs, j'ai cessé de leur rendre visite depuis quelque temps.
- Mais alors, les gens ne meurent plus là-bas ?
- Pas pour le moment non. Ils doivent être enfin heureux ces cons, vu qu'ils courent tous après l'immortalité...
- Mais ça doit être un sacré bordel ! Leur monde n'est pas infini !
Je soupire...J'avais bien besoin d'une âme aussi lucide pour venir m'emmerder pendant mes petites vacances. Hélas il n'a pas tort...
- Ouais en effet. J'vais aller voir ça alors. Je te laisse.
*
Finalement et à reculons, je finis par retourner dans ce monde de fous qu'on appelle la Terre. Je ne peux hélas que constater l'apocalypse que mon absence a provoqué.
En captant les ondes de leurs médias, voilà ce que j'y entends :
«La pandémie d'immortalité s'étend comme une gangrène. Surpopulation, famines, pollutions, guerres... la situation mondiale est catastrophique à tous les niveaux. Plus personne ne parvient à mourir depuis près de 50 ans. On ignore toujours ce qui a déclenché cet étrange phénomène mais... »
- Ça va, ça va, j'arrive ! Font chier ces cons...
Allez, au boulot comme on dit. J'ai beau en avoir marre de ces macaques doués de cognition avec des pouces opposables, j'n'ai pas le choix.
Je fais craquer les os de mes mains, et comme le chef d'orchestre que je suis, je balance ma symphonie... Enfin, mon requiem pour le coup.
Des tremblements de terre, et autres tsunamis. Quelques morts par-là dans une épidémie... À la broche en rôti, dans le feu des bombes par-ci... j'emporte les âmes en fracas, j'ai du retard dans mes quotas... Que la mort soit !
*
Je me penche sur la prochaine passagère, toujours prête à accomplir cette formalité. Dans son cas, c'est un avion tombé sur le coin de son nez qui est son ticket de sortie. Mais voilà, alors que je m'attends à un accueil chaleureux, cette énergumène me rappelle pourquoi je m'étais cassé d'ici :
- Oh, je suis morte ? Vraiment ?
- Oui, ton heure est enfin venue, tu peux quitter cette vie où tu n'as plus rien à y faire...
- M'enfin, c'est pas possible ! J'étais si bien sur mon île, tranquille. Et personne ne meurt plus depuis 50 ans, pourquoi moi ?!
Oh non, ça recommence... C'est à devenir folle... Je leur donne ce qu'ils demandent, ce pourquoi ils prient, leur vœu le plus profond... et merde. Finalement, mon plus grand malheur, c'est que je ne peux ni démissionner, ni me suicider, pour en finir avec la mort qui régit mon existence.
Sont VRAIMENT pénibles ces humains...

