

Louvelane
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Louvelane
Voici une nouvelle que j'ai écrite pour un concours organisé par:
La proposition de l’appel à texte était la suivante : “L’animale”.
Le dictionnaire la reconnaît à peine : « Nom commun. Animal femelle. Très rare ».
Quand, au cœur de la langue, elle entre par effraction, munie d’un « e » final qui, au bout du mot qui la nomme, vient la faire exister, quelle histoire raconter ? Quels imaginaires peuvent naître de cette nouvelle graphie ?
Louvelane
Le couple marchait main dans la main. Kael allongeait ses foulées pour rester à hauteur de Luna, sa femme. Non que cette dernière soit particulièrement plus alerte ou pressée, mais elle tenait à bout de bras la laisse qui la reliait à Louvelane, leur alpaga femelle. A eux trois ils prenaient presque toute la largeur du trottoir.
— Tu ne veux toujours pas que je la tienne ? demanda Kael, car avec ses soixante-dix kilogrammes, Louvelane était très vigoureuse.
— Merci, je te remercie de vouloir me soulager, mais il est important pour moi de garder ce lien. Tu comprends ?
— Oui, je sais, soupira-t-il.
Une expo-tech urbaine venait de s’installer pour quelques mois sur le boulev’Art et, sur cette portion de trottoir, un artiste s’amusait à désolidariser les passants de leur ombre, en s’inspirant d’un très vieux conte oublié racontant les aventures d’un certain Peter Pan.
A quelques pas devant le couple, Orion, leur fils de trois ans, coursait ainsi son double facétieux, caracolant d’un côté à l’autre du trottoir sans prêter garde à la circulation.
Un jeune alpaga gambadait également autour de lui et partageait son excitation sous l’œil de Louvelane, nostalgique des jeux partagés avec son petit. Regrettant un peu sa récente émancipation, elle tirait alors par à-coups sur sa laisse.
Le 6Tem, sixième génération du logiciel qui gérait la circulation dans la mégapole grâce au Transport Electromagnétique, avait repéré le manège de l’enfant et de son compagnon. Par sécurité, il avait dévié le trafic en suivant leur avancée et en bloquant momentanément sur quelques centaines de mètres l’accès à la voie contiguë au trottoir.
Arrivés aux abords de l’une des rives piétonnes, Orion s’arrêta, récupérant instantanément son ombre. Il attendit ainsi tout fièrement que ses parents le rejoignent. Le détecteur de présence du 6Tem intégra automatiquement leur demande de traversée dans le plan de circulation qui fut aussitôt mis à jour en tenant compte du niveau de priorité des usagers.
Un passage se matérialisa au sol, et les véhicules s’arrêtèrent en ligne devant eux. Ils disposeraient d’une minute vingt-deux secondes pour traverser la 2x4 voies et rallier l’autre rive ; le 6Tem avait vu large. Kael prit néanmoins garde à ce que son fils et le jeune alpaga ne flemmardent pas derrière eux ; cela aurait été malvenu de se voir affliger une pénalité pour une telle bévue !
Derrière les vitres la plupart des personnes ne prêtaient aucune attention aux aléas de la circulation. Certains dormaient, d’autres lisaient, d’autres encore étaient en pleine discussion avec un tiers, peut-être situé à l’autre bout de la planète. Mais ceux qui levèrent la tête à ce moment-là semblaient les envier. Il est vrai que Kael avait une place privilégiée dans l’administration et qu’il avait bénéficié de conditions avantageuses concernant l’acquisition de Louvelane.
Une fois qu’ils furent tous en sécurité de l’autre côté de l’artère, le flux des véhicules reprit de plus belle, chaque personne retrouvant sa place dans le trafic.
La petite famille franchit ensemble un portail dont les deux battants étaient largement ouverts et se retrouva dans l’arborium, le lieu de prédilection de beaucoup de citadins pour leurs promenades dominicales.
Ils empruntèrent l’allée centrale et se retrouvèrent rapidement immergés dans la natur.
Un esprit pointilleux aurait dit dans une natur, car cet acronyme signifiait ‘Nouvelle Aire Territoriale à Urbanisme Ralenti’, mais il était tentant de croire à nouveau dans cette vieille notion délicieusement surannée et incroyablement exotique. Il est vrai que les ingénieurs s’étaient surpassés en plantant pas moins de quatre espèces d’arbres différentes ! Il y avait toujours des voix dissidentes pour regretter que l’on n’ait pas choisi des graines sauvages mais ces dernières étaient hors de prix et ne protégeaient pas des déformations. Pour éviter que tous les troncs et toutes les branches n’apparaissent parfaitement alignés à l’œil, il suffisait simplement de se décaler un peu de l’axe de plantation.
Au bout de cette allée un espace de jeu avait été implanté. Orion scruta les manèges espérant y découvrir un autre enfant. Il eut de la chance, aujourd’hui. Un garçon sensiblement de son âge cherchait un partenaire pour un tour de swing’bal. Il arrivait que les manèges soient déserts plusieurs jours de suite.
Pendant qu’Orion se précipitait vers l’attraction, toujours accompagné du jeune alpaga, le couple s’assit sur un banc, après avoir réglé le dossier et l’assise pour plus de confort. Louvelane, stoïque, regardait son petit chahuter avec les deux enfants.
Sur un autre banc, en face d’eux, un jeune couple les observait. L’homme se leva et s’approcha.
— Bonjour, dit-il.
— Bonjour, répondit Kael.
— Vous avez une bien belle femelle alpaga ! Comment s’appelle-t-elle ? demanda l’homme.
— Elle s’appelle Louvelane, répondit Luna.
— C’est un joli nom. Quel âge a-t-elle ?
— Elle va avoir 6 ans.
— Et c’est son deuxième petit ?
— Oui.
— Elle sera encore suffisamment vaillante pour une dernière portée.
— Je l’espère bien.
— Vous aurez déjà deux petits, voulez-vous me la vendre à ce moment-là ? Je suis prêt à vous en donner le prix d’une 3 ans. C’est une bonne affaire pour vous !
— Louvelane n’est pas à vendre !
— Pensez un peu aux autres !
L’homme se retourna vers sa femme qui attendait, fébrile, implorant Kael et Luna du regard.
— Depuis le temps qu’elle veut un petit…, reprit-il. Je ferais tout pour elle.
— Je suis désolé, j’ai déjà promis à ma sœur que je lui laisserai notre alpaga… sembla regretter Kael.
— Il y a des familles qui ont de la chance, soupira le jeune homme, avant de retourner près de sa compagne, les bras ballants. Celle-ci se leva, prit le bras de son conjoint et ils partirent tout deux sans un mot et sans se retourner.
— Depuis quand as-tu une sœur ? demanda Luna.
— Depuis que je dois éloigner les importuns, répondit Kael.
Un peu plus tard, un couple âgé s’arrêta à son tour. Eux aussi examinèrent attentivement Louvelane.
— Elle mettra bientôt bât ?
— Dans 3 mois environ.
Le couple suivit le regard de l’animale qui ne perdait pas une miette du jeu des enfants.
— Vous avez déjà un mâle, apparemment. J’imagine que, cette fois-ci, ce sera une femelle ?
— Oui, avoua Kael, qui n’avait pourtant pas eu l’intention d’engager la conversation.
— Qu’allez-vous en faire ? Est-elle déjà réservée ? J’aimerais vous l’acheter pour notre fils qui va se marier.
— Elle sera le compagnon de jeu d’Iris, notre fille. Nous ne nous en séparerons pas.
— Quand on pense au nombre de personnes qui attendent une saillie, vous allez la garder pour vous égoïstement ? Cela ne vous suffira pas d’avoir déjà le statut de famille nombreuse ?
— Voyez comme notre fils est heureux avec le sien, répondit Luna. Je ne peux pas priver sa sœur d’une telle joie.
La vieille femme, qui n’avait pas encore prit la parole, intervint à son tour :
— J’ai bien été privée, moi, on m’a retiré mon animal à la naissance, pour que je ne m’y habitue pas.
— Je suis désolée pour vous, reprit Luna, mais vous comprendrez donc que je veuille la garder.
La vieille femme haussa les épaules et entraîna son conjoint.
« Laisse, tu vois bien qu’on en tirera rien. »
Luna chuchota à son mari :
— Il faudra faire très attention qu’on ne nous vole pas le petit, Iris en serait malade.
Ils regardèrent leur fils, qui revenait vers eux, son compagnon de jeux ayant été rappelé par ses parents.
— Au moins, Orion ne risque rien avec le sien, dit Luna, les mâles n’intéressent personne…
Alors qu’ils allaient reprendre leur promenade, un individu surgit derrière eux et poussa brutalement Luna par terre pour lui faire lâcher la bride. Il brandit un couteau, enjoignant à Kael de ne pas intervenir, puis tira brutalement sur la laisse. Ce geste inhabituel provoqua un cri d’alarme chez l’animale qui lui cracha à la figure. L’homme s’énerva, voulut la frapper mais Louvelane se retourna prestement et se mit à ruer. L’homme fut atteint de plusieurs coups de sabots. Il renonça et s’enfuit prestement.
Luna était restée à terre mais Kael se précipita d’abord vers la femelle alpaga pour la calmer. Quand sa femme se releva, elle saignait de la figure. Kael sortit un mouchoir propre de sa poche et lui donna furtivement. Orion se jeta dans les bras de sa mère et demanda « Elle n’a rien, dit, maman ? »
— J’espère que la ruade et le stress n’ont pas provoqué un décollement du placenta, s’inquiéta Kael. Je préfère que l’on s’en assure.
Il mit la main à l’oreille et actionna le vibraphone qui y était implanté. Il composa ensuite le numéro d’urgence qui lui avait été attribué pour la durée de la gestation. Un opérateur décrocha à la première sonnerie. Il identifia aussitôt Louvelane grâce à sa puce connectée et consulta rapidement sa fiche médicale.
— Matricule LOU12874 : Deuxième gestation, trois mois du terme, vous confirmez, monsieur ?
— Oui, répondit Kael. Elle vient d’être attaquée.
— Son rythme cardiaque est élevé, je vais lui injecter un calmant à partir de son implant dorsal.
— Ce n’est pas risqué à ce stade de développement du fœtus ?
— D’après ses constantes, le produit sera dosé à 23 % seulement, vous n’avez rien à craindre, monsieur. Je vais vous envoyer une équipe pour un examen plus approfondi. Il y a un emplacement réservé au secours, juste à la sortie n°3 de l’arborium, il sera vacant dans deux minutes et douze secondes. Notre véhicule arrivera, lui, dans quatre minutes et cinquante-deux secondes.
Après avoir remercié l’opérateur, toute la famille se dirigea ensemble vers la sortie concernée en allongeant le pas. Comme ils débouchaient à nouveau sur la rue, ils virent l’alpine[1] s’approcher en effectuant une suite de décrochages programmés comme dans un jeu de taquin géant[2]. Le véhicule se gara quatre minutes et cinquante-cinq secondes après le déclenchement de l’opération par l’opérateur. Ce retard était déjà en cours d’analyse par le backoffice de 6Tem.
Un infirmier ouvrit immédiatement la porte de l’ambulance.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-il en déclenchant la descente du hayon.
— Notre alpaga a subi une agression, répondit Luna. Un homme a voulu nous la voler.
— C’est de plus en plus courant, madame, il faut éviter de pavaner en ville surtout lorsqu’on en a déjà un ! dit-il d’un air de reproche en montrant Orion et son jeune animal de compagnie.
L’infirmier fit monter Louvelane. Kael aurait bien voulu lui rabattre son caquet, mais ils devaient faire bonne figure et accepter ses remarques désobligeantes. Toute la famille accompagna l’animale dans le camion. Une femme urgentiste, qui préparait ses appareils de contrôle, les accueillit avec un sourire pour contrebalancer les manières bourrues de son partenaire.
La fiche d’identité de Louvelane était affichée sur un écran avec l’ensemble de ses données médicales. La femme plaça l’animale dans une sangle et enclencha la sonde. Tous attendaient fébrilement ses commentaires.
— Regardez, voilà son fœtus. Il est encore peu développé, mais je suppose que je ne vous apprends rien.
Chez les alpagas, la durée de la gestation était de onze mois. Pendant les sept ou huit premiers mois, le petit se développait sans grossir. Il se rattraperait lors des trois mois restants pour peser à la naissance près de sept kilogrammes, et arborer une toison qui en faisait le doudou des enfants chanceux.
L’infirmière reprit :
— On distingue tout de même déjà bien ses membres inférieurs et supérieurs. Les zones denses que vous voyez là montrent des tissus homogènes, et un développement uniforme. Le flux sanguin est régulier, aucune malformation ou accident vasculaire ne sont apparents. Le fœtus ne semble pas avoir souffert de l’agression. Je vais en profiter pour mettre à jour ses mesures biométriques.
Luna et Kael poussèrent ensemble un soulagement de satisfaction. Puis l’infirmière déplaça la sonde.
— Et voici le vôtre, reprit-elle en désignant un embryon humain de 6 mois déjà bien formé. Vous attendez une fille, je vois, comment allez-vous l’appeler ?
— Iris, dit Luna, les yeux rivés sur l’écran et une main caressant son ventre vide.
Depuis qu’une série de mutation avait empêché les femmes de porter leurs enfants elles-mêmes il avait rapidement fallu trouver une espèce animale compatible avec le cycle de reproduction humain.
Aujourd’hui il était pourtant toujours difficile de fonder une famille. Si Louvelane avait dû perdre son petit, la santé du bébé humain aurait été impactée.
— C’est un joli nom, elle va bien, elle-aussi. Elle a profité du temps pendant lequel le petit alpaga ne grandit pas pour assurer son propre développement. Au bout de onze mois, les deux bébés seront prêts en même temps, la mère accouchera et vous serez à nouveau une maman comblée.
[1] Véhicule configuré pour l’auscultation des alpagas.
[2] Ce puzzle est composé de petits carreaux numérotés qui glissent dans un cadre comportant une seule case libre. Le jeu consiste à remettre dans l'ordre les carreaux par une suite de déplacements individuels.

