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En suspens - Lundi 10 décembre 2007

En suspens - Lundi 10 décembre 2007

Publicado el 13, ago., 2024 Actualizado 13, ago., 2024 Family
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En suspens - Lundi 10 décembre 2007

La nuit est mouvementée. C’est la première fois depuis le début de ma grossesse que j’ai mal au ventre comme ça. Je ne suis pas d’une nature à me plaindre mais cette fois-ci, je trouve que ce n’est pas normal. En arrêt de travail depuis cinq jours, je pensais profiter de ces quelques semaines pour m’occuper de la grande chambre des jumeaux et me reposer un peu mais là, même allongée c’est la galère ! Je réveille Nicolas, lui dit que j’ai mal. Il n’a pas l’air rassuré.

« Tu n’as jamais eu mal au ventre depuis juillet, c’est bizarre… Je vais te conduire à la maternité, j’appelle mon patron et on y va vite ! »

Le temps de me lever et de commencer à m’habiller pour m’apercevoir que c’est de moins en moins normal ce qui m’arrive : j’ai l’impression que ma fille (nommée J2 lors de la première échographie) pousse vers le bas de mon ventre pour sortir ! Pas d’affolement, je n’ai jamais été enceinte avant mes jumeaux, c’est une toute nouvelle expérience et qui plus est une double expérience. C’est peut-être normal après tout, les bébés s’agitent et tiraillent pour pouvoir faire leur place à deux dans le même ventre… Mais un passage aux toilettes confirme mon inquiétude. Je perds du sang…

Dans la voiture, on a du mal à trouver les mots, le silence règne. J’ai un mauvais pressentiment, un grain de sable qui va enrayer ma grossesse. Je le sens. Mais je garde cette appréhension pour moi.  On se dirige vers la clinique de mon gynécologue : il officie dans une maternité de niveau 1. Nous arrivons vers 9 heures. J’explique mon cas à la secrétaire qui nous installe en salle d’attente. Heureusement le gynécologue qui me suit est là et m’ausculte entre deux patientes.  Il ne dit rien mais son visage semble grave tout à coup. Après m’être rhabillée, je demande :

« Alors je peux rentrer chez moi, ce n’est rien n’est-ce pas ?

- Madame, je ne peux rien faire pour vous ici. Nous n’avons pas le matériel nécessaire. On va vous transférer dans une maternité de niveau trois. »

C’est l’incompréhension. Mille questions se bousculent dans mon esprit mais rien ne sort de ma bouche. Je n’ai pas le temps d’avoir plus d’explications sur ce que signifie « niveau trois » que mon médecin nous fait patienter dans une autre salle d’examens et nous quitte en disant :

« Une infirmière va venir vous chercher, elle vous placera sous monitoring. Une ambulance est en train de se préparer pour vous emmener à la maternité régionale. Mon collègue n’a pas besoin de sa salle d’examens pour l’instant. Vous pouvez rester ici jusqu’à ce que l’infirmière vienne vous chercher. »

Avec Nicolas nous sommes perdus. On n’arrive toujours pas à se parler. On est chacun dans nos pensées. Au bout d’une demi-heure, quelqu’un clenche la porte et nous demande :

« Que faites-vous ici ? C’est ma salle d’examens ! Vous n’avez rien à faire là ! Vous sortez immédiatement ! »

Nicolas lui explique en vain le problème car le gynécologue n’est pas décidé à avoir un peu de compassion ou de gentillesse pour mon cas. Il réitère sa demande pour qu’on quitte sa salle au plus vite. Je prends mon courage à deux mains, je me lève du siège, et marche difficilement vers la porte. J’ai vraiment très mal au ventre et lorsque je me déplace c’est pire. Nicolas me soutient et on décide de retourner à l’accueil pour savoir où se situe cette fameuse salle avec le monitoring.

La salle est au dernier étage. Nous y allons car j’ai l’impression qu’on nous a oubliés alors que j’ai de fortes douleurs. Je m’inquiète pour mes bébés. Nous arrivons tant bien que mal au sommet de la clinique, et nous expliquons ce que l’on fait ici. Elle  me prend en charge immédiatement et me place sur un lit. Elle effectue quelques branchements puis m’explique qu’elle va surveiller les bébés. Elle ne parle pas, ne me met pas au courant de ce qu’elle observe. Avec son air désespéré je vois bien que ça cloche, la situation semble grave. Mais je n’ai pas la force ou plutôt pas le courage de demander la vérité. Et Nicolas non plus. Je le sens apeuré et impuissant.

Puis, comme si elle ressentait notre peur, l’infirmière nous annonce du bout des lèvres que ce sont des contractions qu’elle perçoit sur l’écran. J1 et J2 ont pour l’instant un bon rythme cardiaque, mais il y a toujours J2 qui semble se mettre en position pour naître. Elle me demande la date prévue de l’accouchement.

« C’est prévu pour le 28 mars 2008 »

Le visage de la soignante se décompose. Elle fait des allers retours pour voir si l’ambulance est prête à partir. Elle semble vraiment inquiète.

Ça y est, j’ai peur ! Je ne le dis pas à Nicolas mais il doit bien voir que je vais mal… Je touche mon ventre et dis :

« Alors Cyrielle, pourquoi ne veux-tu pas rester au chaud ? Tu ne peux pas venir nous rendre visite maintenant, ce n’est pas possible, tu n’es qu’un tout petit bébé, tu as besoin de rester là où tu es. »

A dire vrai, je ne sais même pas quel poids ou quelle taille peuvent avoir des bébés de 25 semaines et 5 jours d’aménorrhée. J’essaie de me remémorer mes brèves lectures sur la grossesse mais je me rends compte que je n’ai pas lu grand-chose : j’attendais mon congé maternité pour m’y mettre. Je visualise les ouvrages commandés à la librairie sur la grossesse, sur la gémellité, et sur l’éducation. Ils trônent en première place dans la bibliothèque de notre salon mais  je ne les ai pas encore feuilletés !

Je prends conscience que je ne suis pas prête à vivre ce moment-là. J’ai peur, très peur. Mon esprit est en ébullition : que va-t-il se passer dans les prochaines heures, les prochains jours ? Vais-je vraiment accoucher là, tout de suite, maintenant ? Comment vont s’en sortir les bébés ? Et comment annoncer cette nouvelle à ma famille ? A ma sœur, enceinte de huit mois et demi, et à ma maman, à mon papa ? Perdue dans mes pensées, je ne comprends pas tout de suite que l’ambulance vient d’arriver. Encore une expérience que je n’ai jamais connue auparavant : en presque 27 ans d’existence, c’est mon premier déplacement avec le SAMU. Les ambulanciers sont rassurants tout le long du trajet :

« Ne vous inquiétez pas ma p’tite dame, ça va aller ! Vous allez être forte et vos bébés ne vont pas venir maintenant. Il existe des médicaments pour retarder les accouchements prématurés. Allez courage ! On arrive bientôt.»

Prématurés, un mot que nous allons entendre et que nous allons utiliser des milliers de fois les mois et les années à venir…

J’ai laissé Nicolas tout seul devant la maternité. Il décide d’appeler mes parents pour les prévenir de la situation. Encore ahuri par les évènements, il se rend à leur atelier : ils sont imprimeurs. Il arrive à bon port.

« Beau-papa, je ne suis pas capable de conduire jusqu’à la maternité régionale. Tu peux m’accompagner ? »

Ma mère prend les devants :

« Olivier, tu amènes Nicolas rejoindre Nana, je vous retrouve au plus vite. »

Merci ma p’tite maman ! Même si je n’ai pas assisté à cette scène, je te vois très bien gérer le problème et le prendre pour toi avec toute l’empathie qui te caractérise.

Arrivée à la maternité régionale, je suis prise en charge dans la foulée. On me fait une batterie d’examens dont les noms me laissent indifférente. Médecins, internes, infirmières se relaient pour me communiquer des informations au compte-goutte. J’ai retenu qu’ils m’ont administré un médicament contenant des corticoïdes. Ça devrait permettre le ralentissement voire la fin des contractions. Je m’accroche à cette nouvelle apaisante lorsque je vois Nicolas entrer dans la chambre. Je lui explique brièvement ce que j’ai compris.

Les minutes, puis les heures s’égrènent. De temps en temps, une infirmière passe dans ma chambre et prend des nouvelles de mon état. En fin de journée, on m’informe qu’on va me garder pour la nuit sous surveillance. Je ne pensais pas rester à l’hôpital ce soir. Je n’ai rien prévu : ni trousse de toilette, ni habits de rechange. Rien. Mon cerveau est en surchauffe lorsque je visualise la maison : rien n’est prêt là-bas non plus. Les lits ne sont pas montés, encore moins les armoires ni les tables à langer. Je n’ai que quelques bodys qui se battent en duel. La panique me gagne. Je me pose une multitude de questions : et si je devais rester alitée jusqu’à l’accouchement ? Et si je devais accoucher ce soir, dans quel état seraient mes jumeaux ? Pourquoi ? Pour quelles raisons j’ai des contractions ? Pourquoi ma petite Cyrielle pousse-t-elle ?

J’ai mal, et je suis épuisée de cette journée.

 Ma sœur, ma sauveuse, m’apporte ce qui faut : une trousse de toilette complète, un pyjama, un magazine et un livre. Elle est enceinte jusqu’au coup, mais elle a fait la route jusqu’à la maternité avec ma maman pour me soutenir. J’ai de la chance d’avoir des proches aussi attentionnés et bienveillants.

Nicolas doit lui aussi repartir en fin de journée. Je vais passer une nuit en observation, dans une chambre impersonnelle et qui me terrifie. J’ai l’impression d’être une toute petite fille dans un lieu inconnu, sans visage rassurant pour m’apaiser. Et j’ai vraiment mal. Les questions se bousculent à nouveau dans ma tête. Je me demande si j’ai commis une erreur ces dernières heures ou ces derniers jours : ai-je trop marché, fait un effort trop intense ? Ou alors mangé un mauvais aliment qui aurait entraîné les contractions ? Vais-je accoucher dans les jours qui viennent ? C’est quoi la prématurité ?  C’est quoi les séquelles de la prématurité ? En 2007, Internet n’est pas encore installé sur nos téléphones portables. Et heureusement pour moi sinon j’aurais perdu tout espoir pour mes enfants…

Tout allait bien pourtant. Mon dernier rendez-vous chez mon gynécologue datait du mercredi précédent. Il venait de signer mon arrêt de travail. J’en avais d’ailleurs informé ma hiérarchie. La secrétaire ne trouvait pas cela normal car je devais me faire inspecter le 11 décembre. Mon congé ne devait commencer qu’aux vacances de Noël. Je m’étais excusée platement, comme à mon habitude. Je m’étais même sentie coupable de cet arrêt anticipé…

En début de nuit, un interne se présente et m’explique qu’ils n’ont jamais vu ça : ils estiment que J2 pèse environ 500 grammes, mais qu’elle pousse pour sortir, malgré l’administration de médicaments qui normalement ralentissent les contractions. Ils vont quand même tenter une autre dose de tocolytiques et de corticoïdes contre les infections en ce début de nuit, et ils verront où le travail en est demain matin.

Me voilà seule dans cette chambre de la maternité. Je tergiverse et je me décide à appeler Nicolas. Je lui répète ce que l’interne vient de m’expliquer mais je n’ai plus les idées bien claires : je suis fatiguée de cette journée, j’ai peur, je ne me sens pas de taille à affronter ce qui va se passer… Je le sens au plus profond de moi, une lourde épreuve va nous arriver. C’est à ce moment que je raccroche et que je me retrouve de nouveau seule avec mes pensées, mes frayeurs, mes douleurs, mes questionnements…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Gand Laetitia hace 3 meses

Je suis révoltée par ce qui vous est arrivée en salle d'examens et émue. Je vous ai lu avec l'impression de vivre cela également. Mon fils est né avant terme, certes pas prématuré comme votre petite, il était un peu plus gros mais je connais l'angoisse ressentie, les préparatifs qui n'étaient pas fini, la fatigue.... merci infiniment de ce partage si personnel de vous. Je vous souhaite une belle soirée.

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Annaële Bozzolo hace 3 meses

bonjour Jackie,

Merci pour l intérêt que vous portez à mon témoignage. C est vrai que cette première journée fut marquante et éprouvante. J avais l impression d être un boulet !
Mais sans spoiler la suite du récit, dans les différents services ayant accueillis mes enfants, j’ai rencontré des personnes formidables, à l écoute et bienveillantes. Allez, je laisse un peu de suspens pour la suite de « en suspens »!
Bonnes futures lectures à vous!

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Jackie H hace 3 meses

La société nous fait régulièrement croire que c'est nous en tant qu'individus qui faillissons à notre tâche d'être toujours ce qu'il faut quand il faut et là où il le faut, mais c'est la société qui faillit régulièrement aux individus qui en sont membres :

- le médecin qui vous a chassés comme des malpropres de "sa" salle d'examen : même s'il était dans son droit, et même s'il en avait besoin à ce moment-là, il y avait l'art et la manière de le dire, vous n'étiez pas des squatteurs, et l'attitude qu'il a eue me paraît tout simplement *indigne d'un médecin*

(à suivre...)

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Jackie H hace 3 meses

(suite)

- votre gynéco traitant a sans doute cru bien faire en vous envoyant dans la salle d'examen d'un confrère plutôt que directement au service de monitoring, histoire de vous éviter trop d'efforts et de vous permettre de vous reposer, et il n'avait visiblement pas prévu que l'infirmière chargée du monitoring vous "oublierait", mais sin confrère aurait pu lui répondre (et l'a probablement fait aussi) que tous les services des hôpitaux ont des salles d'attente qui sont justement faites pour ça

- l'infirmière du monitoring était probablement seule dans le département, en service de nuit, et vous a probablement oubliés parce qu'elle était déjà elle-même débordée et qu'elle ne s'en sortait plus, et votre gynéco traitant a probablement sous-estimé sa charge de travail

(à suivre...)

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Jackie H hace 3 meses

(suite et fin)

Et comme toujours, la communication inexistante ou alors largement déficiente dans les hôpitaux, que ce soit entre le personnel soignant et les patients qu'au sein même du personnel soignant et entre les différents services (je sais de quoi je parle, mon père a passé une bonne partie de ses dernières années de vie dans les hôpitaux et heureusement que ma mère était là pour veiller au grain !). Vous n'avez vraiment pas été gâtés, dès le début...

(et soit dit en passant, vos bébés sur la photo sont a-do-ra-bles ❤️)

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