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Chapitre 1 - Souvenirs amères

Chapitre 1 - Souvenirs amères

Publicado el 24, ago, 2025 Actualizado 24, ago, 2025 Drama
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Chapitre 1 - Souvenirs amères

Retour à Douala

L’avion tremblait légèrement alors qu’il s’élevait au-dessus de Nairobi. Kadija, appuyée contre le hublot, observait les lumières qui s’éteignaient peu à peu sous elle. L’air conditionné glacial faisait frissonner sa peau cacao moyen, contrastant avec la chaleur sèche et parfumée de la capitale kényane qu’elle venait de quitter. Son esprit, pourtant, n’était pas sur la cabine silencieuse : il vagabondait déjà dix ans en arrière, à cette nuit fatidique où Lomé avait disparu de sa vie.

Pourquoi suis-je revenue maintenant ? se demandait-elle en serrant ses mains sur ses genoux. Mon père… il pourrait mourir. Et si j’arrivais trop tard ? Le message de sa mère résonnait dans sa tête, lourd et insistant : “Kadija, ma chérie, rentre, ou tu le regretteras toute ta vie.” Elle avait repoussé ce moment des années durant, repoussant la confrontation avec un homme qui n’avait jamais su lui offrir autre chose que froideur et attentes impossibles.

Le moteur ronronnait comme un rappel constant, un battement mécanique qui se mêlait au souvenir de cette soirée. Elle revivait chaque détail : le parfum de Lomé, la peur sourde, le cri étouffé dans la nuit, le silence écrasant qui suivit. Kadija ferma les yeux et inspira profondément, tentant de chasser la douleur. Mais le vent de la cabine ne pouvait pas éteindre les flammes de son passé.

À l’atterrissage à Douala, l’air chaud et humide la saisit immédiatement. Le parfum âcre du kérosène se mêlait aux effluves de la ville encore éveillée. Mr. Kofi le chauffeur, et sa mère attendaient près de la sortie. Leurs visages étaient éclairés par les phares des voitures. Kadija descendit de l’avion, les jambes encore engourdies par les heures passées en altitude.

— Kadija… murmura sa mère en s’avançant, son sourire éclatant mais teinté d’inquiétude.

Kadija lui rendit à peine un signe de tête. Son expression restait impassible, presque sculptée dans le marbre. Pourquoi suis-je si froide ? pensa-t-elle. Est-ce de la colère, de la peur, ou juste la façon dont j’ai toujours appris à survivre ?

Le trajet vers la maison familiale fut silencieux, ponctué seulement par le vrombissement du moteur et le cliquetis des essuie-glaces sur le pare-brise. Kadija observait les rues, les boutiques, les panneaux lumineux qu’elle avait oubliés. La ville semblait avoir changé, mais elle se sentait étrangement étrangère, comme si elle avait été absente d’une autre vie, d’un monde parallèle.

En arrivant à la demeure, Kadija fut accueillie par Sesame et l’ensemble du personnel, tous alignés comme pour une cérémonie. Leurs visages, marqués par les années de service, exprimaient un mélange de respect et de tendresse. Kadija courut presque vers Sésame et se jeta dans ses bras, les larmes roulant sur ses joues. L’odeur familière de la maison, mélange de bois ciré, de café fraîchement moulu et de jasmin venant du jardin, la rassura instantanément.

— Mon bébé … tu es enfin là, murmura Sésame en la serrant contre elle, sa voix tremblante mais chaleureuse.

Kadija sentit le poids des années s’écraser sur ses épaules. Tout a changé et pourtant tout est identique… pensa-t-elle. Elle observa les murs, les tableaux, les meubles anciens. Chaque détail lui rappelait les souvenirs d’une enfance à la fois tendre et empreinte de douleur. Le personnel, discret mais attentif, s’empressa de porter ses bagages vers sa chambre.

Une fois installée, Kadija respira profondément, sentant le bois ancien de son bureau de chambre, le linge parfumé, la fraîcheur de la brise venant de la véranda. Elle savait que cette maison était à la fois refuge et prison. Elle se leva et demanda à sa mère :

— Et père, où est-il ?

Mme Kounté, sa mère, baissa les yeux un instant, puis répondit avec une voix douce mais chargée d’inquiétude :

— Il est à l’hôpital depuis trois mois… mais je le ramène bientôt à la maison.

Kadija hocha la tête, un frisson d’appréhension parcourant son échine. C’est donc ici que tout recommence… pensa-t-elle, consciente que son retour allait réveiller non seulement les fantômes de son passé, mais aussi les tensions enfouies de sa famille.


Visite à l’hôpital et petit détour

Kadija poussa la porte vitrée de l’hôpital avec un mélange de nervosité et de résignation. L’air climatisé froid lui mordait la peau et le parfum antiseptique, mélange de désinfectant et de lingettes parfumées, lui déclenchait une nausée familière. Les couloirs blancs et immaculés reflétaient la lumière des néons au plafond, créant des lignes nettes et presque cruelles sur le sol carrelé. Chaque pas résonnait, comme un rappel de sa solitude, et le claquement de ses talons sur le carrelage semblait accompagner ses pensées sombres.

Au détour d’un couloir, elle heurta l’infirmière qui sortait d’une chambre de la chambre de son père. La jeune femme, en blouse blanche impeccable, sourit poliment et murmura un « Bonjour, mademoiselle » avant de disparaître dans une autre chambre. Kadija inspira profondément pour se donner du courage. La lumière qui filtrait par la baie vitrée illuminait légèrement ses rasta noirs, créant des reflets caramel dans sa chevelure.

La chambre était silencieuse, seulement ponctuée par le bourdonnement régulier des machines qui surveillaient les fonctions vitales de son père. Kanan Kounte reposait dans un lit à hauteur réglable, drapé d’un couvre-lit crème. Ses traits étaient affaiblis par les trois mois d’alitement, et son souffle, laborieux, faisait lever et descendre sa poitrine de manière saccadée. Kadija sentit un nœud se former dans sa gorge. Elle s’avança et posa sa main sur celle de son père, chaude malgré la pâleur de sa peau chocolat foncé.

Il tourna légèrement la tête vers elle. Dans ses yeux fatigués, il y eut une lueur. Il sourit comme s’il la reconnaissait, malgré les années écoulées. Un faible sourire se dessina sur ses lèvres, frêle mais sincère, et Kadija sentit une étrange émotion l’envahir : un mélange de soulagement et de tristesse, comme si le temps n’avait jamais passé, et pourtant tout avait changé. Elle s’assit sur le bord du lit, observant chaque ride, chaque mouvement, comme pour graver l’image de son père dans sa mémoire.

Le silence fut interrompu par Talla, le garçon-maid recruté six mois plus tôt. Sésame l’avait présenté à Kadija comme son assistant personnel, chargé de suivre chacun de ses déplacements et de répondre à tous ses besoins. Talla, jeune homme attentif et discret, entra avec la politesse d’un domestique de maison bourgeoise, portant un carnet et un stylo, prêt à noter les moindres demandes.

— Mademoiselle, madame a demandé votre retour immédiat. Des invités sont arrivés pour vous saluer, annonça Talla avec son ton posé et respectueux.

Kadija le regarda, son visage impassible, mais son esprit bouillonnait. Elle ne pouvait pas céder cette fois. Elle secoua légèrement la tête.

— Non, Talla. Je ne retourne pas immédiatement chez mes parents. Sa voix était tranchante, mais elle tremblait légèrement, trahissant son émotion.

De retour dans la voiture, Kadija sortit son téléphone et dicta l’adresse à Kofi, son chauffeur personnel : la maison des parents de Lomé. Les fenêtres légèrement teintées reflétaient les lumières de Douala qui défilaient rapidement, tandis que le parfum subtil de son parfum – notes de vanille et d’ylang-ylang – flottait autour d’elle, créant une bulle rassurante et familière.

Ses doigts tapotaient nerveusement sur son sac à main. Chaque coin de la ville, chaque rue lui rappelait des souvenirs d’il y a dix ans, des rires, des courses effrénées et cette nuit fatidique où elle avait perdu Lomé.

Alors qu’elle s’approchait du quartier où Lomé avait grandi, son cœur battait plus vite. Les sons de la ville – klaxons, rires, et discussions animées – se mélangeaient à ses souvenirs. Ils arrivent dans le quartier et se garent devant la maison. Aussitôt, Elle se revoit, à vingt ans, franchissant la grille, frappant à la porte. C’est Lome qui lui avait ouvert ce soir-là, et elles s’étaient enlacées comme à chaque retrouvaille. Le frisson de la mémoire lui fit serrer les poings.

Cette réminiscence est brusquement interrompue par Talla qui, depuis le siège avant, lui demande s’ils peuvent y aller. Kadija tourne la tête, prête à répondre, mais son regard se fige : une femme sort de la maison. Mme Ntenzou. La mère de Lome. Sans réfléchir, Kadija ouvra la portière et descendit précipitamment de la voiture, chaque pas résonnant comme une promesse silencieuse : aujourd’hui, elle allait affronter son passé, avec toutes ses douleurs et ses souvenirs, pour enfin se rapprocher de la vérité.

Á cette idée, Kadija sentit un poids immense se libérer de sa poitrine.

Dévine qui est là!

La nuit avait déjà avalé la ville lorsque la voiture s’engagea dans l’allée bordée de lampadaires du domaine Kounte. Par les vitres teintées, Kadija observait distraitement les éclats de lumière qui glissaient sur son visage, accentuant la fatigue qui pesait sur ses traits. Elle savait que sa mère devait fulminer, sans doute assise quelque part dans la maison, le regard dur, prête à la gronder pour avoir osé désobéir. Mais Kadija n’en avait cure. Elle se surprit à sourire toute seule.

La rencontre chez Madame Ntenzou, la mère de Lomé, flottait encore dans son esprit comme un parfum rassurant. Elle avait été touchée par la chaleur de cet accueil, elle qui s’attendait à une froideur protocolaire. Les yeux brillants de cette femme, son franc sourire, la façon dont elle avait pris sa main avec douceur, tout cela avait résonné en Kadija comme une reconnaissance longtemps attendue. Elle n’en revenait pas encore. Elle soupira, un demi-sourire flottant sur ses lèvres.

La voiture se gara devant l’entrée principale, ses phares balayèrent la façade avant de s’éteindre. Le chauffeur descendit, ouvrit la portière, et Kadija posa ses escarpins sur le marbre froid du perron.

— Mademoiselle, dit Talla en s’approchant, puis-je vous demander la permission de me retirer pour ce soir ?

Kadija le scruta un instant. Sa silhouette droite, son visage jeune mais déjà empreint de sérieux, lui inspirait une certaine tendresse.

— Oui, Talla. Allez-y. Vous avez bien mérité du repos.

Il inclina légèrement la tête avant de disparaître vers l’aile des domestiques.

Kadija franchit la lourde porte de bois sculpté. L’intérieur était plongé dans une pénombre étrange ; aucune lampe n’éclairait le hall ni le grand salon. Seuls les reflets laiteux de la lune se faufilaient à travers les hautes fenêtres. Le silence était épais, presque inquiétant. Elle s’attendait à voir surgir Sésame, la gouvernante, mais seul le bruit lointain de ses propres pas résonnait sur le marbre.

— Maman doit s’être enfermée dans sa chambre, pensa-t-elle. Mais à cette heure, si tôt ?

Elle gravit lentement l’escalier monumental, effleurant de sa main la rampe de fer forgé glaciale. Arrivée au palier, elle perçut un éclat de rire. Cristallin, franc, indiscutablement familier. Son cœur se serra. C’était le rire de sa mère. Mais il y avait autre chose : un timbre joyeux, complice.

Kadija se raidit, accéléra le pas et poussa la porte du petit salon de l’étage.

— Mon Dieu ! cria-t-elle en découvrant la scène. No way. Toi ici?

Assises côte à côte, en conversation intime, se trouvaient Mme Kounte, élégante dans une robe de soie ivoire, et Semme Belingo, son meilleur ami d’enfance. Les deux gens éclatèrent de rire devant la réaction théâtrale de Kadija.

— Madame, dit Mme Kounte avec un sourire à demi-moqueur, continue de me désobéir, je te demandais de rentrer parce que Semme était là.

Semme, rayonnant, se leva pour étreindre Kadija.

— Tu n’as pas changé, souffla-t-il à son oreille. Toujours prompte aux grands effets.

Kadija, encore secouée, éclata de rire malgré elle.

La conversation continua un moment, les deux amis partageant anecdotes et confidences. Puis madame Kounte, un peu lasse, posa une main sur le bras de Semme.

— Je vais vous laisser entre jeunes. Les souvenirs m’appellent, mais le sommeil aussi.

Elle quitta la pièce avec une grâce naturelle, laissant les deux amies renouer leur lien.

Après un long échange plein de complicité retrouvée, Kadija gagna sa chambre. L’eau chaude de la douche glissa sur sa peau, apaisant ses tensions, lavant ses inquiétudes. Enfin allongée, elle tira les draps, arrangea ses oreillers, cherchant une position confortable. Mais sa main heurta un papier froissé. Intriguée, elle le déplia.

À la lueur tamisée de la lampe de chevet, elle lut les mots tracés d’une écriture qu’elle connaissait trop bien :

« I missed you… »

Un frisson glacé la traversa. Le rire de sa mère et la douceur de Semme s’évanouirent, remplacés par une question brûlante : Qui avait glissé ce mot sous son oreiller ?


Matin de tendresse et de doutes

Le lendemain matin, Kadija se leva avec une étrange légèreté dans la poitrine. La soirée de la veille lui avait laissé ce parfum de complicité retrouvé avec Semme, et surtout cette note sous son oreiller, griffonnée simplement : « I missed you… ».

À peine sortie de sa chambre, elle se dirigea d’un pas décidé vers sa mère. Sans prévenir, elle se jeta littéralement dans ses bras.

— Maman… je suis désolée pour hier, murmura-t-elle en la serrant si fort que Mme Kounte en resta interdite. J’aurais dû te montrer plus de chaleur à l’aéroport. Tu m’as manqué. Je suis contente d’être là.

Sa mère se figea un instant, ses mains élégantes posées timidement sur le dos de sa fille. Le visage de madame Kounte se fendit d’un sourire heureux, mais ses yeux trahissaient une certaine confusion.

— Kadija… tu es sûre que ça va ? Toi qui es d’ordinaire… froide comme la glace, tu m’étonnes, avoua-t-elle en caressant doucement sa joue. Qu’est-ce qui explique ce revirement ?

Kadija inspira profondément, puis glissa à voix basse :

— J’ai trouvé la note que tu m’as laissée, sous mon oreiller. Hier soir.

Le sourire de Mme Kounte s’effaça. Elle fronça légèrement les sourcils, recula d’un pas, et secoua la tête.

— Quelle note ? Ce n’est pas moi, ma fille. Tu sais bien que je n’écris pas de cette façon. Peut-être… peut-être que c’est Sésame qui a voulu faire une attention ?

Kadija resta silencieuse, songeuse. Un frisson lui parcourut la nuque : si ce n’était pas sa mère, alors qui ? Mais elle n’insista pas.

La journée s’annonçait longue. Pour chasser ses pensées, Kadija annonça qu’elle voulait sortir, se promener en ville. Après dix ans passés à l’étranger, elle avait soif de redécouvrir son pays, même si beaucoup le réduisaient à un simple « tiers-monde ».

Elle appela Talla, son jeune assistant.

— Montre-moi les nouveaux endroits branchés. J’aimerais aussi faire un peu de shopping, aller au cinéma… et surtout, rendre visite à papa.

Le garçon-maid acquiesça, un sourire poli aux lèvres, et les voilà partis à travers la capitale économique. Kadija observa tout avec attention : les avenues animées, les cafés modernes qui poussaient à côté des gargotes traditionnelles, les façades rénovées, les enseignes lumineuses qui semblaient vouloir effacer le temps. Talla, enthousiaste, jouait le guide.

— Ici, c’est le nouveau centre commercial, dit-il en désignant un bâtiment vitré. Là-bas, une galerie d’art… Et regardez, madame, cette place a été complètement réaménagée.

Leur dernière halte fut à la FNAC. Les néons éclaboussaient les rayonnages remplis de disques et de livres. Kadija s’avança droit vers le rayon musique. Ses doigts effleurèrent la pochette d’un album qu’elle connaissait déjà : TIKI, de Richard Bona. Elle sourit.

— C’est parfait. Papa adore ses morceaux. Tu savais qu’il avait été nommé aux Grammys ? demanda-t-elle à Talla, qui hochait la tête avec respect.

Elle prit aussi un lecteur CD portable.

— Il faut qu’il écoute ça, ça lui rappellera qu’il n’est pas seul , pensa-t-elle.

Au chevet de son père, quelques heures plus tard, l’ambiance changea. Le corps frêle de M. Kounte reposait sur les draps blancs. Ses yeux clignaient lentement, sa respiration était lourde. Kadija s’assit, lui prit la main, lui parla doucement. Il semblait heureux de sa présence, même s’il avait du mal à remettre de l’ordre dans ses souvenirs.

Avant de partir, elle demanda à la réception à voir le médecin responsable. On la conduisit au bureau du docteur Biboum. L’homme, en blouse blanche, l’écouta attentivement mais ses mots restèrent vagues.

— Nous avons effectué de nombreux examens, expliqua-t-il, mais rien ne révèle clairement l’origine du mal. Les reins de votre père sont fragilisés, certes, mais le problème principal reste cette perte progressive de mémoire. Nous n’avons pas de traitement curatif à ce stade.

Kadija sentit son cœur se serrer.

— Mais alors… qu’est-ce qu’on fait ?

Le médecin baissa les yeux, presque désolé.

— Tout ce que nous pouvons conseiller à votre mère, c’est de réunir la famille autour de lui. Qu’il profite des siens, tant qu’il est encore là. Vous devez être préparés, mademoiselle Kounte. Votre père peut partir à tout moment.

Un silence lourd s’installa. Kadija hocha la tête, sans parvenir à dire un mot.

Sous le poids des ombres

Le rendez-vous avec le docteur Biboum encore présent dans sa mémoire, Kadija décide de s’accorder une pause. La voiture s’arrête devant un restaurant chic mais discret de la ville. L’enseigne lumineuse vacille légèrement, projetant des reflets instables sur le trottoir. Elle tourne la tête vers Talla et Kofi, leur adressant un sourire absent.

— Prenez aussi un peu de repos, dit-elle. Je vous appelle quand j’ai terminé.

Les deux garçons hochent la tête et s’éloignent vers un café voisin, tandis qu’elle pénètre dans la salle. L’air est saturé d’épices douces, de gingembre et de poisson braisé. Les verres tintent, des rires montent d’une table au fond, mais Kadija ne les entend presque pas. Son esprit est happé ailleurs.

Elle commande distraitement un plat léger, mais le regard qu’elle pose sur l’assiette fumante reste vide.

Son esprit glisse vers un ailleurs qu’elle s’efforce pourtant de repousser. Son esprit se divise. D’abord, l’image de son père, fragile, étendu sur ce lit d’hôpital, lui revient sans relâche. Elle revoit son souffle saccadé, les yeux fermés, la peau moite de fatigue. Une angoisse muette la dévore : Et si le docteur Biboum avait raison ? Et si son père ne passait pas la semaine ? Le mois ? L’année ? Elle regrette dorénavant ces 10 ans de guerre froide avec lui, à l'aube d’un potentiel adieu.

Puis, insidieusement, d’autres souvenirs s’imposent. Lome. Les éclats de rire partagés sur les bancs d'université, les secrets confiés à voix basse, ce sentiment de complicité qu’elle croyait avoir enterré. Comme une mélodie ancienne, sa mémoire refuse de se taire.

La double tension la broie : d’un côté, la peur de perdre son père ; de l’autre, la blessure jamais cicatrisée d’une nuit qui l’a tâchée à vie. Elle serre sa fourchette, impuissante.

Le monde autour d’elle s’efface. Le brouhaha du restaurant devient un souffle lointain. Ses doigts serrent la fourchette sans force.

— Madame…

La voix la tire de son absence. Un serveur vient de déposer une bouteille sur la table, d’un geste cérémonieux. L’étiquette, dorée et brillante, annonce L’Orée

— C’est un cadeau, offert par une certaine… Lomé.

À l’instant où le nom se détache, Kadija sent ses poumons se bloquer. Son cœur accélère, tambourine contre ses tempes. Ses mains se mettent à trembler. Le décor chavire autour d’elle : les rires deviennent hostiles, les lumières trop vives, presque cruelles. Une panique brutale l’envahit. Elle se lève d’un bond, repoussant la chaise dans un grincement strident.

— Non… non… c’est impossible… souffle-t-elle, presque sans voix.

Elle sort en titubant, le souffle court, comme si le sol refusait de la porter. Dehors, la nuit est lourde, étouffante. Elle attrape son téléphone d’une main agitée, compose frénétiquement le numéro de Kofi.

— Viens me chercher… maintenant ! Et appelle Talla aussi…

Quelques minutes plus tard, la voiture arrive. Talla, en ouvrant la portière, la dévisage :

— Mademoiselle… vous êtes toute pâle… on dirait que vous avez vu un fantôme.

Kadija détourne les yeux, incapable de formuler une explication. Son silence suffit à traduire l’effroi.

De retour au manoir, elle monte précipitamment à sa chambre. La porte claque derrière elle. Talla, resté sur le seuil, dépose ses sacs d’achats dans le dressing puis s’éclipse discrètement. Kadija verrouille la porte, arrache ses chaussures, s’effondre sur le lit. Elle veut dormir, effacer l’image de cette bouteille maudite.

Ses mains s’enfoncent dans les oreillers, cherchent une position confortable. Puis, soudain, ses doigts rencontrent un papier. Elle tire lentement, le cœur serré. Une écriture familière s’y déploie :

« …Kadi, my best friend forever.»

Un cri déchire le silence de la chambre. Kadija se précipite hors du lit, dévale le couloir, ses pas résonnant contre le parquet. Arrivée à l’escalier, elle tombe sur Sésame. La gouvernante, surprise par ce tumulte, lève les mains.

— Qu’y a-t-il, mon bébé ?

— Quelqu’un est entré dans ma chambre ! Dis-moi, Sésame, est-ce que quelqu’un a franchi cette porte ce matin ?

La vieille femme secoue la tête, ses longs cheveux gris glissant sur ses épaules.

— Non, ma chérie. Tous les domestiques étaient au jardin, ou avec Madame et ses invités. Personne n’est monté.

Kadija inspire, haletante. La voix de Sésame poursuit, plus douce :

— Ce matin, Madame a reçu un groupe médical venu inspecter la maison. Ils ont parcouru plusieurs pièces pour voir comment l’adapter au retour de Monsieur. Mais ta chambre n’a pas été concernée.

Kadija chancelle, les yeux rivés sur le papier qu’elle serre toujours. L’air lui manque. La certitude qu’une main invisible rôde dans son intimité lui glace la peau.

La maison, à cet instant, lui paraît soudain trop vaste. Trop silencieuse. Et surtout, pas assez sûre.



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Yvon Stein verif

Yvon Stein hace 11 horas

Eh bien! Vivement la suite! Prenant!

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