19- De sombres nuages
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19- De sombres nuages
— L’appui de notre bon Henri pour son premier chirurgien ne se discute pas mon cher Ambroise. Tu as toute sa considération et il connaît tes exploits sur les champs de bataille. Tu es le meilleur chirurgien de guerre qu’il ait jamais eu. Nous avons donné le change et tout le monde est content ! Allons fêter ça, déclare aussitôt Vincent Coincterel.
Nous enfilons la rue des Cordèles scindée en deux parties par l’épais mur d’enceinte qui date de Philippe Auguste et protège l’entrée de Paris puis l’on remonte la rue Haute feuille qui tient son nom dit-on des arbres plantés là naguère, appréciés par les moines du couvent qui jouaient au jeu de paume sous leur frondaison. La rue est animée à l’approche de midi et les échoppes alimentaires grouillent d’une foule diverse. Sous une échauguette d’angle, un cochon entier est pendu, attirant les curieux et les rares mouches présentes par un temps si froid. Vincent Coincterel poursuit sa route et nous prenons à angle droit une rue bizarrement sinueuse dénommée d’ailleurs rue serpente. C’est là qu’il nous amène, dans une taverne « À la source d’or » dont l’enseigne est un buveur de bière, une chope à la main, assis à califourchon sur une barrique.
Notre entrée est immédiatement saluée par les serveuses aussi jolies que délurées qui semblent parfaitement connaître mes deux amis. Une bouffée de nostalgie m’envahit repensant aux soirées arrosées avec Ambroise et Thierry de Héry quand nous n’étions que de jeunes étudiants, le cœur empli de projets et l’âme innocente.
À table, les chopes défilent une par une, alternant avec des assiettes de charcuterie. Ambroise est de plus en plus apoplectique et à chaque passage d’une des serveuses, il claque vigoureusement les fesses de la pauvre fille qui tente d’esquisser son bras leste d’une agile contorsion avec un sourire contraint. Vincent et moi sommes un peu contrits et je me dis que mon ami tenait mieux le vin quand il était plus jeune.
— Que devient Thierry, je demande à Ambroise pour fixer son esprit sur des sujets plus sérieux.
— Après Pavie, il est parti quelque temps à Rome soigner les malades atteints de la petite vérole où on lui a enseigné les frictions mercurielles. Thierry a rapporté depuis ces méthodes en France ce qui lui vaut une grande réputation et l’acquisition d’une bien belle fortune. Je le vois de temps à autre quand je ne suis pas chirurgien de guerre et j’ai pu lire sa description de la maladie qui commence selon lui par un ulcère des parties honteuses, des tuméfactions dans l’aine et des taches et des rougeurs sur la peau. Il affirme que la chaude-pisse n’est qu’un symptôme de cette petite vérole.
Le temps passe et Vincent Coincterel nous quitte après des félicitations réitérées pour son élève préféré. Nous quittons peu de temps après l’estaminet, un peu éméchés, mais capables tout de même de surveiller un éventuel détrousseur qui en aurait à nos bourses. Nous devisons, parlant de tout et de rien sur le chemin et j’apprends ainsi que mon ami a tiré profit de sa captivité forcée pendant la prise d’Heslin, occupé qu’il fût à soigner l’ulcère variqueux de Monsieur de Vaudeuille, pour faire une peu d’espionnage pour le compte du roi de France à ses temps libres, appréciant l’équipement et les armes dont disposait l’armée impériale pour en faire part à son bon roi Henri. Je ris de bon cœur du bon tour et du sens pratique de mon cher Ambroise. Curieux, je m’enquiers de son activité quand il ne guerroie pas contre Charles Quint.
— Tes exploits chirurgicaux sur les champs de bataille t’ont acquis une grande réputation, mais j’imagine que tu as maintenant un cabinet où tu soignes les grands de ce monde ?
— Je soigne indifféremment les rois et les pauvres gens du mieux que je peux et comme je dis toujours : Je soigne les gens, Dieu les guérit ». Le roi n’a pas manqué d’ailleurs de me faire une remontrance sur ce point, espérant me voir mieux soigner les rois que les pauvres.
— Et qu’as-tu répondu ?
— Qu’il est impossible que je soigne mieux les rois, car je soigne les pauvres comme des rois !
Je ris, fort amusé par cette répartie et de sa phrase sur Dieu que je connais et qu’il use volontiers et fort modestement à chaque intervention. Je ne veux pas être en reste.
— J’ai également une formule que j’ai faite mienne lorsque je dissèque, un peu calquée sur ton modèle : Dieu crée, je ne fais que décrire »
Nous éclatons de rire de concert, chacun très fier de ses bons mots.
— Tu vas loger chez moi pendant ton séjour à Paris, insiste ce dernier et je vais te présenter à Jeanne que tu ne connais pas encore.Nous reprenons la rue serpente puis la rue Haute feuille que nous suivons jusqu’à la rue Saint-André des arcs* avant de bifurquer dans la rue Gilles-le-Queux**. Çà et là quelques arpents de vigne, vestiges des clos médiévaux, disparaissent un à un, sacrifiés par la course immobilière et l’extension en taches d’huile des zones urbaines. La rue Gilles-le-Queux est un véritable coupe-gorge, mais nous ne nous y attardons pas et poursuivons notre route en enfilant la rue de l’hirondelle, petite venelle charmante qui se poursuit jusqu’au pont Saint-Michel. Nous n’allons pas si loin. Ambroise s’arrête au numéro 5, devant une monumentale porte en bois qu’il ouvre avec un trousseau pendu à sa ceinture.
— Bienvenu chez moi mon cher Andréas et tu es mon invité le temps qu’il te plaira.
Jeanne Mazelin est la fille de Jean Mazelin, valet du chancelier Antoine Duprat. Le mariage, me dira Ambroise, eut lieu en juin 41 en l’église Saint-André des arcs et lui permet d’ouvrir un premier cabinet avec sa dot, avant de partir à la guerre dans les troupes du vicomte René de Rohan. Je découvre une femme charmante et douce, de petite taille et en rondeur là où il faut, ce qui, je le sais par expérience, n’est pas pour déplaire à son mari. C’est, me dit Ambroise, la meilleure des épouses. Elle est douce et vertueuse et s’acquitte avec efficacité des tâches du ménage. Un garçon prénommé François naîtra 4 ans plus tard, mais décédera rapidement d’une maladie infantile. La demeure du jeune couple est belle et spacieuse et Jeanne s’entoure du personnel nécessaire à la bonne marche de la maiso
* Rue Saint-André des arcs actuellement rue Saint-André des arts.
** Rue Gilles-le-Queux, actuellement rue Gît le cœur.
Le cabinet de Paré se trouve dans le même immeuble au rez-de-chaussée, cabinet qu’il me fait visiter avec une certaine fierté. Sa boutique, qui donne donc sur la rue de l’hirondelle, arbore comme enseigne « Les trois bassins » et semble ne pas désemplir, accueillant petits et grands de ce monde, à condition toutefois qu’ils aient de quoi payer la consultation, car Jeanne semble intraitable sur ce point, connaissant certainement la bonté naturelle de son incorrigible mari. Les jours défilent trop vite dans cette ambiance chaleureuse et j’aide bien souvent mon ami dans sa consultation, attirant de mon côté quelques bourgeois curieux qui ont eu connaissance de mon nom, peut-être en achetant « La Fabrica ». Cet argent gagné va, bien évidemment, dans les poches d’Ambroise, apportant ainsi par cette obole ma modeste contribution aux frais de la maison.
— L’envie me vient de plus en plus d’écrire sur mon expérience de chirurgie de guerre m’annonce Paré, un soir où nous devisons près d’un feu qui claque et projette ses escarbilles incandescentes dans la pièce chaque fois que les flammes lèchent un bois encore vert. Flambée qui peine malgré tout à réchauffer la grande pièce où nous nous trouvons. La guerre hélas m’a permis d’améliorer les techniques de traitement, d’amputation et j’ai conçu quelques instruments de ma fabrication qui m’aident à l’extraction des carreaux d’arbalètes ou de balles d’arquebuses…
— Ton intervention sur François de Guise au siège de Boulogne a fait grand bruit et t’a déjà rendu célèbre ! Il vit, a pris le surnom du Balafré, et l’on murmure à la cour qu’il a encore plus de charme qu’auparavant ! Toutes les femmes se pâment devant lui.
— Bah ! Je le pansai, Dieu le guérit, rétorque Ambroise en me souriant. Peux-tu m’autoriser à utiliser certains de tes dessins de La Fabrica, je citerai l’auteur bien évidemment, me précise-t-il.
Je lui donne bien sûr mon accord, ne manquant pas de narrer la triste mésaventure qui m’est arrivée avec les médecins espagnols.
Combien de soirées identiques avons-nous passées à échanger nos connaissances, changer le monde, repenser les idées acquises. J’avoue que nos approches sur la chirurgie et l’anatomie divergent quelque peu. Mon anatomie reste en fait essentiellement descriptive et ne peut pleinement convenir à un chirurgien, de la trempe de Paré a fortiori, pour qui la chirurgie se doit d’être avant tout topographique. Peu lui importe la description d’un organe, comme on le fait d’un paysage. L’opérateur qui taille dans le ventre n’a nul besoin de connaître la forme du foie, son nombre de lobes, sa couleur ou que sais-je encore. La seule chose qui lui importe est de connaître la voie d’abord qui évite un organe vital et les vaisseaux qui y vont et en partent. J’ai abordé l’anatomie comme une science à découvrir, à comprendre, restant descriptif et comparatif avec l’étude d’autres animaux, ne cherchant qu’à connaître cette merveilleuse machine qu’est l’homme, voulue par Dieu. Je comprends qu’en agissant ainsi mon but n’est pas d’aider en premier lieu les chirurgiens, mais bien d’expliquer le fonctionnement du corps humain, certainement pour un dessein beaucoup plus vaste. Mon désir premier, peut-être mon seul souhait, reste la connaissance précise du corps humain et la fonction de chaque organe. Dix ans après Charles Estienne, aidé par le chirurgien Estienne de la Rivière pour les planches chirurgicales, j’adopte naturellement la même approche en décrivant l’anatomie de l’homme plan par plan en commençant par ce qui en constitue l’assise, car elle est fondamentale, le squelette, contrairement à Estienne qui achève son troisième tome par la description des os. Mais l’un comme l’autre, nous avons compris l’importance des os du corps et leur fonction, indispensables à la mobilité et donc à notre survie.
À la question de Galien et Hippocrate : pourquoi cela est-il fait, je remplace celle-ci par : comment est-ce fait ? À la question finaliste du corps, je substitue la question scientifique. Seules m’intéressent les notions anatomique et descriptive du corps humain sans y adjoindre des interprétations philosophiques et religieuses.
J’apprends aussi pendant mon séjour à Paris comment mon ami a peu à peu cessé de cautériser les plaies à l’huile bouillante, réfutant l’idée que les flèches sont empoisonnées, mais incriminant davantage l’huile bouillante dans les infections, lui préférant le fer chaud ou la double ligature des artères notamment lors des amputations qu’il réalise en une dizaine de minutes... Pourtant, malgré ses idées novatrices dans la pratique chirurgicale et son expérience fantastique acquise sur les champs de bataille, Paré, qui n’a que 5 ans de plus que moi, n’est pas parvenu à se défaire totalement des conceptions archaïques héritées d’Aristote et, sur bien des points, il reste fidèle aux conceptions de Galien, devenues caduques pour moi. L’année se termine sans avoir vu le temps passer. Je m’apprête à quitter ce foyer qui m’a accueilli longtemps et si gentiment lorsqu’en début d’année une nouvelle vient contrarier Ambroise et retarder mon départ. Jacques Dubois (Jacobus Sylvius de son nom latin) est mort quelques jours plus tôt à un bel âge puisqu’il allait sur ses 77 ans et était nommé depuis 2 ans au Collège royal à la suite de Guido Guidi. Cet homme, d’une grande intelligence, aura été l’homme que j’aurai le plus admiré, qui m’aura beaucoup apprécié, reconnaissant mes qualités d’anatomiste et mon adresse dans les autopsies, avant de devenir mon plus fidèle et constant adversaire, n’ayant de cesse de vouloir me ridiculiser, m’humilier, jusqu’à monter une cabale contre moi et me poursuivre de ses sarcasmes jusqu’à sa mort. Pourquoi une telle haine ? Est-ce parce que je défie l’intouchable Galien et lui reconnais de nombreuses erreurs. Je ne le saurai jamais. Pourtant cet homme pratiquait des dissections en amphithéâtre, même si elles n’étaient pas très nombreuses, ne déviant jamais du chemin tracé par Galien. Il réalisait aussi de très belles préparations anatomiques. Pourquoi avoir persisté à nier l’irréfutable avec un tel acharnement ? Mon ami est cependant fort affecté et je respecte sa tristesse. Sylvius l’appréciait beaucoup et son affection n’a jamais faibli pour Paré à qui il a permis de disséquer avec Michel Servet et moi quand nous étions étudiants. Paré qui a 50 ans et fière allure avec sa barbe de quelques jours qui encadre un beau visage intelligent, des cheveux noirs bouclés parsemés de quelques cheveux blancs a pris soudain une dizaine d’années et ses yeux sont gonflés par le chagrin. Je l’accompagne au petit cimetière de Saint-Etienne-du-Mont où repose le corps de notre professeur. Les étudiants en médecine, marqués par son avarice proverbiale, ne l’ont pas oublié. Quand nous nous rendons au cimetière, la tombe est recouverte d’une épitaphe qui dénonce sa pingrerie excessive. Cela fait rire Ambroise et un éclat de rire inextinguible nous secoue qui nous oblige à quitter comme deux voleurs ce paisible cimetière à l’ombre de l’église en construction où repose dans sa châsse le corps de Sainte-Geneviève, patronne de Paris.
— Ça fait du bien, conclut Paré, l’air égrillard en me gratifiant d’un franc sourire. Il est vrai qu’il était d’une épouvantable avarice…
— Je me souviens de mon arrivée à Paris. Je me suis rendu chez lui avec une lettre de recommandation et il m’a introduit dans sa maison où il vivait seul. Il y faisait un froid de canard. Aucune pièce n’était chauffée pour ne pas avoir à dépenser trop de bois pendant l’hiver et il portait un énorme manteau fourré pour lutter contre le froid !
— Reconnaissons-lui de nombreuses découvertes anatomiques, poursuit Paré. Ainsi qu’une nomenclature anatomique pour les muscles. *
— Paix à son âme maintenant cher Ambroise.
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*Jacobus Sylvius (Jacques Dubois), médecin, anatomiste, auteur de la première grammaire française, parlait remarquablement le latin, connaissait le grec et l’hébreu. Il a décrit de nombreux muscles, l’os sphénoïde, la valvule de la veine cave inférieure, le muscle carré plantaire (muscle de la face plantaire du pied). Il mit au point une résine colorante qu’il injectait dans les vaisseaux peu après la mort pour observer le trajet des veines et des artères. Il est resté partisan de médications simples basées sur les plantes communes, peu coûteuses. Il classa les muscles en muscles involontaires et volontaires (actuellement muscles lisses se contractant sans la volonté de l’individu et muscles striés commandés par la volonté).
La découverte de la scissure de Sylvius et l’aqueduc du même nom situés dans le cerveau lui sont souvent attribués à tort et découverts par Franciscus Sylvius au siècle suivant (1614-1672).
Photo :Peinture du XVIe siècle
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