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La danseuse écarlate

La danseuse écarlate

Publicado el 20, feb., 2020 Actualizado 20, feb., 2020 Cultura
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La danseuse écarlate

journal ecriture

Journal d'écriture 2017-2018

 

22 décembre 2017 dans le train de nuit en direction de Perpignan.

 

LA DANSEUSE ÉCARLATE

 

De la danse fébrile de son corps, sur la surface plane du plancher, naît et s'organise une autre chorégraphie.

Un point d'appui après l'autre. Un sursaut, un bond, un saut.

Le grand écart qui se révèle sur l'espace de la scène se découvre dans ses jambes allongées et blanches.

 

La danseuse s'allonge délicatement, s'appuyant à nouveau sur ses jambes. Alors, celle-ci, dans ces mesures lancinantes que son corps renvoie contre les murs de la scène, s'écarte de l'ombre, et le froissement de ses membres plaque comme un accord parfait, tout cela mêlé aux sons de l'orchestre.

 

Un état de grâce presque absolu. L'appel de l'apesanteur. S'envoler définitivement. Et puis, croiser les bras, dessiner des signes fébriles et troublants.

S'arc-bouter, se déboîter, se disloquer. Laisser les membres s'allonger au point qu'elle pourrait se briser.

L'os alors révèlerait sa nudité implacable.

Mais ce n'est qu'une image... qu'elle abandonne derrière son sillage.

L'envol de son corps la sauve du poids de l'amertume.

La chair de son corps est dense et pourtant si délicate, toujours troublante.

 

Ses bras se sont enroulés. Ses mains s'emmêlent, se torsadent. Elles s'agrippent à des filins invisibles.

 

Elle pourrait s'évaporer et disparaître brutalement. Ne plus être qu'un spectre. Un fantôme arpentant les planches. A tout jamais. Pour l'éternité.

C'est comme s'il fallait qu'elle s'invente dans ces bonds et ces sursauts... parmi les traces qu'elle abandonne, dans ce silence poignant, dans ces ténèbres où nul halo ne vient l'éclairer.

 

Elle s'est affaissée, découvrant un pan entier de sa nudité blafarde. Une ombre brutale l'ensevelit. Puis une lumière soudaine. Comme un insecte attiré par les lueurs qui apparaissent dans une nuit sans lune, elle se laisse prendre au piège que l'espace entrouvre à la suite de ses ronds et déliés où ses pieds tracent sur le sol en bois des signes rebelles.

 

Le champ ouvert a créé un cercle au milieu duquel elle se meut. Un projecteur l'encercle. Rond de lumière ventru. Lueur obèse. Le blanc éclatant semble l'avaler. Mais la voici triomphante. Sa chair nue, par parcelle, se révèle et éclate en même temps que les sons tonitruants que l'orchestre enroule autour d'elle. La voici fière - et pourtant si malhabile - dans son avancée gracieuse et souple.

 

La voici enfermée dans un cube transparent sur laquelle se reflète sa silhouette discrète.

 

Comme arrachée d'elle, son ombre lui fait comme une parure chatoyante en laquelle elle s'enroule. Dédoublée, elle la transfigure. Elle est pareille à une apparition.

 

Elle s'invente et se dessine dans l'enroulement dans ses pas. L'image devient indocile. Fermée à toute interprétation. Le mystère doit demeurer et sa beauté ne se révéler qu'entre deux pans de lumière.

 

Les rideaux pourpres se sont ouverts silencieusement. Ses bras se sont enfoncés dans la tenture trouble et diapré. Les mains se plaquent dans les plis révélés et semblent s'engouffrer, être avalées par la voracité des spectres plaqués contre le tissu vif.

 

C'est une silhouette effilée. Devenue transparente et invisible.

 

A-t-elle disparue?

 

Non, l'ombre qui l'avalait l'a rejetée soudainement. Elle jaillit et ses jambes puissantes prolongent l'arc du cercle qu'elle avait auparavant à peine esquissé.

 

L'ouverture est créée. Lumineuse et dense, implacable dans la cruauté qu'elle dessine, si vorace et pourtant à la fois si tendre, son corps se montre maintenant dans toute sa splendeur. Il miroite et plante ses reflets dans l'œil du spectateur qui l'observe.

 

Un dard puissant qui s'enfonce dans l'iris. Un éclat qui ouvre la blessure nouvelle. C'est elle qui organise la transe. 

 

L'illusion est parfaite. Si tenace, elle demeure. Elle est translucide. Pareille à un éclat de cristal froid.

 

C'est elle la maîtresse fébrile. Elle anime le désir. Un anneau de passion échevelée s'est formé encerclant alentour les ombres. Miroitant autour d'elle, l'éclat de la chair s'est épanouit, ouvrant comme un abîme devant elle. Elle pourrait être avalée par ce cercle affamé et vorace. Mais elle est tenace. Ses jambes ne se dérobent pas sous le poids de son corps. Elles sont tendues. Elles pourraient être sur le point de rompre. Ses chevilles dégoulinant de sueur pourraient la trahir et sur la flaque créée, d'où une vapeur s'échappe, glisser sans retour. Mais le corps ne se rend pas. Une assurance. Des appuis solides l'arriment sur le sol froid et dur.

 

Elle contourne l'obstacle. Sans se dérober elle envoûte l'espace. Ses membres souples se sont déroulés. La soie de sa chair illumine le clair-obscur que les rideaux sombres renvoient sur l'espace de la scène.

Elle est comme une bougie où s'agite par intermittence la flamme rouge et orangée à son sommet.

 

Qui saurait la souffler?

Ecrit dans le train de nuit Decembre 2017

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