

Le Sceau des Lyrnes - Chapitres 2 et 3
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Le Sceau des Lyrnes - Chapitres 2 et 3
Chapitre 2 : Ehsou
J’étais à la fenêtre, en train de profiter des premières lueurs de l’aube, quand les cloches de l’académie retentirent. Ajdaho était certainement l’une des plus belles cités qu’il m’ait été donné de voir. Construite au fond d’un ravin, en partie troglodytique, l’ocre des falaises et des bâtiments côtoyait le scintillement de l’eau. Dès ma première année de formation, j’avais établi qu’il n’existait pas meilleur lieu pour étudier.
Alors que mes compagnes de chambrée grommelaient de devoir se lever, je portai un dernier regard vers le ciel et les dragons qui volaient bien au-dessus de nos têtes. Si nos ancêtres s’étaient établis au fond du ravin, leurs partenaires de vol avaient conservé les hauteurs. Il était strictement interdit aux cadets comme aux civils de s’y aventurer. Seuls les dragonniers pouvaient s’en approcher, ainsi que les dix heureux élus de troisième année.
Mes yeux s’attardèrent encore un instant sur les silhouettes draconiques. Il n’existait pas un Aurion qui n’était pas devenu dragonnier, et il était hors de question que je sois l’exception.
— Debout avant tout le monde, mais tu vas quand même trouver le moyen d’être la dernière, me chuchota Suwah, une main sur mon épaule.
J’eus un léger sursaut, prenant conscience des six cadettes qui m’entouraient et qui avaient toutes revêtu leur tenue d’apparat pour accueillir notre nouveau général. Je quittai mon rebord de fenêtre pour attraper mes propres vêtements. Je finissais tout juste de boucler mes bottes quand la porte s’ouvrit à la volée :
— Garde à vous !
L’ensemble de notre chambre s’exécuta, avec le dynamisme dont chacune pouvait faire preuve au réveil. Je notai que, finalement, l’une d’entre nous était encore sous sa couverture. Mel se redressa avec toute l’énergie de la panique, manqua de se taper la tête sur le lit superposé et de s’emmêler dans sa couverture avant de nous rejoindre, le dos droit et les mains croisées.
Milla, notre superviseuse, balaya nos regards et s’attarda plus longuement sur Mel avant de proférer :
— Vous entamez votre troisième année, cadettes. Il va falloir vous ressaisir ! Si vous espérez faire partie des dragonniers de cette promotion, il faudrait veiller à être sur le qui-vive à mon arrivée ! Vous êtes attendues sur l’esplanade dans une heure, tâchez d’être prêtes et présentables pour notre nouveau général !
La porte claqua derrière elle et nous relâchâmes toute la tension, sous forme de soupirs ou de bâillements. Mel ne tarda pas à retomber sur son lit, s’invectivant d’être ainsi prise en faute dès le premier jour.
— Mieux vaut le premier que le dernier, plaisanta Judith en lui ébouriffant un peu plus les cheveux.
— Ta sœur est levée depuis quelle heure pour déjà faire preuve d’autant d’énergie ? demandai-je à Suwah qui chassait le moindre pli de sa tunique d’apparat.
— Je pense que Milla s’est levée après toi, taquina-t-elle. À la différence qu’elle a couru pendant que tu rêvassais.
— J’aurais bien assez à courir pendant la journée qui nous attend, grommelai-je.
Suwah m’accorda un sourire tranquille alors que nous quittions les dortoirs en compagnie des cadettes les plus volontaires, Judith en tête. S’il y avait une personne dans notre année que tout le monde était certain de voir rencontrer les dragons, c’était bien elle. Elle était d’une efficacité redoutable une arme à la main et il n’y avait que Mel pour faire apparaître douceur et chaleur sur ses traits déterminés.
— Tu as mieux dormi cette nuit ? poursuivit Suwah alors que nous traversions les couloirs taillés dans la roche.
J’appréciais la fraîcheur de notre caserne troglodytique. L’automne avait beau approcher, la chaleur restait écrasante là dehors, qu’importait que le soleil se lève à peine.
— Oui. Il était tant que j’évacue la tension. Ça fait tout de même un mois.
Un léger frisson me traversa au souvenir du village de Söl et ses trop nombreux cadavres.
— Laisse-moi deviner, la Confédération refuse toujours de contacter l’Ordre ?
— J’imagine. Mais mon père n’a fait mention de rien de tout ça dans sa dernière lettre.
En revanche, j’avais eu le droit à un tonnerre d’encouragements pour ma nouvelle année et il n’avait pas manqué de me rappeler que je n’avais pas à m’inquiéter d’être choisie comme dragonnier. Ça coulait de source, d’après lui. Et puis, il paraissait que j’allais recevoir toute l’aide dont j’avais besoin. Je me demandais bien de quoi il pouvait parler, puisque les règles de l’Académie interdisaient le favoritisme : les enseignants n’avaient pas le droit d’aider un élève plus qu’un autre.
Deux étages plus bas, nous gagnâmes le réfectoire où s’amassaient recrues, cadets et gradés. Suwah et moi attrapâmes nos plateaux garnis d’œufs au plat et de lard avant de nous asseoir aux côtés d’une Milla prête à décoller pour sa garde matinale.
— Mon frère en est à l’étape sortir du lit, ou de la douche ? plaisantai-je en ne le voyant pas à ses côtés.
Depuis le début de leur formation, Koumô et elle étaient toujours ensemble et le fait que Suwah et moi répétions ce schéma était devenu une blague récurrente entre nos deux fratries.
— Môsieur est capitaine maintenant, rétorqua-t-elle en redressant le dos, un sourire au coin des lèvres. Il a été choisi pour accueillir notre nouveau général avec le commandant.
— Quel honneur, commenta Suwah. Il vient juste d’être nommé.
— Les autres capitaines n’ont pas la chance d’être aussi princes de San, conclut Milla en emportant son plateau.
Sa sœur et moi eûmes à peine le temps d’entamer nos assiettes que Nero vint s’asseoir à nos côtés avec sa double ration d’œufs. Le filleul du roi mon père se penchait déjà vers moi en prenant sa voix de comploteur.
— Qui de vous deux veut parier sur le nom de notre nouveau général ?
— Le nom, je n’en sais rien, commenta Judith à l’autre bout de la table, mais ce ne sera certainement pas la fine fleur de l’armée. Avec la guerre qui fait rage, on aura le droit à un grouillot quelconque.
— Tu exagères, rétorqua Suwah. Ajdaho est l’académie la plus respectée de la Confédération. Il n’y aurait pas un dragonnier sur le front si cette école n’existait pas. Ne serait-ce que par respect pour notre institution, ils vont envoyer un général décoré.
— C’est le commandant Nemeht, le pilier d’Ajdaho. Et je maintiens que nous sommes très loin du front. Ils se doivent de garder les généraux compétents et de nous envoyer un élément dispensable.
— L’année commence à peine et nos tacticiennes les plus prometteuses sont déjà en train d’établir des stratégies opposées ? plaisanta Nero. Princesse, il va falloir que vous remédiiez à tout cela, vous devez bien avoir des infos qui éclairciraient notre jugement ?
Je roulai des yeux. Qu’il use de mes titres et du vouvoiement m’agaçait autant que cela m’amusait. Ce n’était pas comme si nous n’avions pas grandi ensemble à la cour du château…
— Désolée, mon vieux. Au sein de cette académie, je suis aussi cadette que toi. Je n’ai pas pu lire les petits papiers.
Nero me gratifia de son plus beau sourire théâtral et agrémenta sa performance en se liquéfiant sur la table.
— Si on ne peut même plus compter sur la monarchie pour nous tenir au courant.
— Et qu’est-ce que la monarchie peut faire pour toi ? intervint Koumô en s’immisçant avec son plateau.
Je souris et me décalai sur le banc pour lui laisser une place. Il m’en remercia alors que Nero lui faisait part de nos pronostics.
— Plutôt gratin ou grouillot d’après toi ?
— Le meilleur du gratin ! assura Koumô.
Je demeurai prudente face à sa certitude. Certes, il venait d’aller le chercher, mais avec lui, je ne savais jamais si c’était du lard ou du cochon. Le sourire de Nero se fit carnassier.
— Mon cher prince et capitaine, vous vous devez de nous dire ce que vous savez !
— Je ne vous dois rien, moi, papillonna-t-il des paupières.
— Même pas à ta petite sœur ? Faux frère !
Koumô me porta un regard en coin amusé.
— Je me suis dit que la surprise te plairait.
Ma perplexité se renforça. Face à ma mine, son sourire grandit avant qu’il ne vienne me chuchoter à l’oreille :
— C’est ton frère d’âme.
Mes yeux s’écarquillèrent de surprise alors que Nero me pressait pour obtenir la réponse.
Koumô ne pouvait pas être sérieux. La Confédération n’enverrait jamais un élément aussi important que lui si loin du front. Pas alors que les attaques de Kharn étaient quotidiennes.
Face à mes questions muettes, le prince haussa les épaules.
— De ce que j’ai compris, c’est lui qui s’est proposé.
Chapitre 3 : Yoni
La douleur était atroce. Elle irradiait dans tout mon organisme sans que je ne puisse en percevoir l’origine. Je n’aurais même pas su dire quand elle avait commencé.
N’étais-je pas en train de me battre pour défendre Qher contre l’armée asguienne ? À quel moment avais-je quitté le champ de bataille pour me retrouver… où ?
La brûlure qui me consumait m’interdisait toute autre perception. Je voulais ouvrir les yeux. En vain. À moins qu’ils ne soient ouverts sur les ténèbres ?
Un grondement rauque s’éleva de ma gorge, remontant à mes oreilles. Au moins une chose qui fonctionnait dans mon organisme. Me mouvoir, en revanche, était chose impossible.
— Yoni…
Une voix douce, empreinte d’inquiétude.
Une main fraîche, sur un point flou qui devait sans doute être ma main. Gauche ou droite ?
Pourquoi tout était si flou et nébuleux ?
Où était Vincent ? Vincent était à mes côtés sur le champ de bataille. Je ne craignais rien tant que mon aïeul m’accompagnait, alors…
À la pensée du vieux Sheha, la douleur irradia avec d’autant plus de violence avant de se concentrer dans mon épaule gauche.
Oui, c’était ça. On m’avait blessé à l’épaule. Le coup avait brisé ma clavicule, j’en étais certain. Mais qui ? Avais-je pu me faire si facilement avoir par un simple soldat ? Moi, le « meilleur épéiste de Qher », se vantaient mes collègues.
Une autre douleur rattrapa celle de mon épaule bandée. Une pulsation dans ma nuque, comme un deuxième cœur corrompu qui insufflait son poison dans mes veines.
Je voulus attraper ce corps étranger dans un geignement étouffé, mais cette main fraîche me retint à nouveau.
— Calme-toi, Yoni, chuchota la voix douce. Tout va bien. Vincent t’a ramené, tu ne crains rien ici.
Einia.
Ses paroles amenèrent une toute petite lumière dans la toile de ténèbres de mon esprit. Je suivis ce chemin pour parvenir à ouvrir les yeux. La blancheur de l’hôpital m’aveugla et il me fallut cligner plusieurs fois des paupières pour stabiliser ma vision.
La douleur était toujours là. Les pulsations aussi. Mais elles semblèrent diminuer, se concentrant en des zones précises. Lentement, je tournai mon attention vers ma compagne, soufflant son nom d’une voix éraillée.
— Je suis là, assura-t-elle en serrant ma main.
Un soupir et l’assurance tranquille de sa voix se fissura en un son plus tremblant :
— Par Senva, tu m’as fait une de ses peurs.
Elle me raconta comment Vincent m’avait porté inconscient jusqu’au campement, jusqu’à ce que mon second me prenne en charge. Einia semblait retrouver un certain calme en parlant, comme si me voir cligner lentement des yeux suffisait à la rassurer.
Ce n’était pas mon cas.
À chaque parole, c’était une peur sourde qui s’emparait de moi. J’ignorais pourquoi. Oublier les quelques secondes avant un traumatisme n’était pas surprenant, mais quelque chose n’allait pas.
Je le sentais dans chacune des pulsations qui parcouraient ma nuque.
Juché sur le dos d’Onibi, le grand loup roux qui m’accompagnait depuis près de trente ans, je massais ma nuque douloureuse. L’Isfet était forte dans cette zone et la brûlure qui m’empoisonnait venait me le rappeler. Il était étrange que la Malveillance se développe ainsi dans des zones sauvages. Ajdaho n’était pas loin, certes, mais cette région était surtout le domaine des vouivres et des dragons.
Cela devait bien faire une décennie que quelque chose clochait dans l’équilibre d’Al-Makan, cependant, personne n’était prêt à prononcer le mot fatidique qui expliquerait tout ça. Pour la majorité, cette montée de la Malveillance était la résultante du conflit avec Kharn, qu’importe que les lyrnes soient devenus agressifs des années avant l’attaque de Shirô.
Comme trop souvent, pour ne pas me laisser assommer par la Malveillance, j’avais sorti une cigarette roulée de ma blague à tabac. J’évitais le plus possible de fumer devant mon fils, mais l’Isfet frappait fort sur ma tête et je devais rester alerte. J’aurais volontiers débattu de la réelle utilité de mon geste, mais les habitudes prises à l’armée ne m’avaient jamais lâché. « Un coup de stress ? Une somnolence ? Prends une clope ! », ils auraient pu en faire un slogan…
— Ça pue, ne manqua pas de commenter Eyvas, assis derrière moi.
— Un jour, je penserai à ajouter un parfum vanille-fraise, promis.
Je pouvais deviner sa moue alors qu’il cachait son nez dans ma cape de général.
Je soupirai, expirant une bouffée de fumée au passage. J’avais quitté le champ de bataille dans l’espoir d’échapper au taux trop élevé d’Isfet pour le Sheha que j’étais, et j’atterrissais finalement dans une zone tout aussi touchée. Je sentis Eyvas sursauter quand il entendit le rugissement des dragons.
— C’est vraiment là qu’on va rester ? bredouilla mon fils en resserrant sa prise sur mes vêtements.
— Les dragons ne viennent pas dans la ville, Eyvas, lui assurai-je.
Mon attention se porta pourtant vers les falaises. Je m’inquiétais bien plus des vouivres. Elles n’avaient jamais attaqué Ajdaho, mais les incidents étaient nombreux hors de la cité. Parfois, je regrettais le choix d’emmener mon fils : il aurait été plus en sécurité chez son parrain, à Meshâ. Mais je lui avais promis que, si j’étais muté, il pourrait rester à mes côtés.
Pour autant, je ne devrais pas attendre que les choses empirent pour revenir sur ma décision.
— Ils sont là ! reprit mon fils en pointant notre comité d’accueil.
Mon regard se tourna vers le commandant et le capitaine, à l’entrée du réseau de grottes qui nous conduirait à Ajdaho.
Je reconnus sans mal le prince de San. Notre dernière rencontre remontait à une décennie, mais il n’y avait que trois individus aux cheveux violets dans toute la Confédération, et un seul représentant masculin. À ses côtés se tenait Nemeht, engoncé dans son armure sombre. La cicatrice qui fendait ses lèvres donnait constamment l’impression qu’il grimaçait ; elle eut d’ailleurs de l’effet sur Eyvas qui se recroquevilla un peu plus derrière moi.
Je coinçai ce qu’il me restait de cigarette entre mes dents pour mettre pied à terre, aidai l’enfant à descendre, puis m’avançai vers les gradés pour serrer la main du vieux commandant. Mon fils préféra rester près d’Onibi en triturant ses mains.
— Général Adanedhel. C’est un honneur de vous compter parmi nous. Ajdaho ne pouvait espérer meilleur choix.
N’en faites pas trop… songeai-je. Les jeux de politesse n’avaient jamais été mon fort.
— Tout l’honneur est pour moi, Commandant.
Nemeht accepta cette platitude par un hochement de tête sec et ô combien militaire.
— Suivez-moi, je vous prie.
Alors qu’il se détournait, Koumô se fendit d’un grand sourire.
— Ça fait plaisir de te revoir, Yoni !
— Capitaine Aurion, surveillez votre ton et langage envers un supérieur ! tonna Nemeht, sa voix résonnant dans le tunnel.
Koumô rentra le cou, ce qui m’arracha un sourire et je lui tapotai l’épaule avant de suivre notre guide. Le commandant ayant pris de la distance, Eyvas se précipita vers moi pour que je le porte. J’éteignis donc ma dose de tue-poumon et le soulevai tandis qu’Onibi nous emboîtait le pas et que le prince sanais fermait la marche.
Sans connaître le chemin, rejoindre Ajdaho équivalait à traverser un labyrinthe. La ville se développait au fond d’un canyon, au pied de la chaîne de Setech. Toutes les entrées nécessitaient de parcourir un ensemble de galeries, plus ou moins naturelles, ou d’être dragonnier pour y parvenir depuis les airs.
Une alternative consistait à rejoindre Ajdaho par les gorges, mais cette route passait par le territoire des vouivres et n’était ouverte que lors de fortes affluences, notamment durant les jeux célestes. Cet événement avait lieu en moutoui, le mois précédant la fête de la Lumière, et voyait s’affronter les meilleurs guerriers de la Confédération, dans l’enceinte d’une arène suspendue entre les deux falaises.
Les militaires refusaient que les civils traversent les galeries, de peur que des espions s’infiltrent parmi eux et transmettent à leurs chefs le chemin vers l’académie. Au moins, en passant par les gorges, les touristes étaient ravis des paysages et les traîtres savaient que s’ils revenaient hors saison, ils se feraient croquer par une vouivre.
— Quelle est la situation sur le front ? reprit Nemeht après plusieurs minutes de marche silencieuse.
— Qher maintient sa supériorité maritime. Mais la guerre a changé de visage : plusieurs groupes ont réussi à s’infiltrer loin des lignes de front. Aux dernières nouvelles, ils ont été capturés. En ce qui me concerne, j’ai conseillé de garder une vigilance accrue. D’autres individus de ce genre œuvrent peut-être ailleurs et je me méfie des objectifs que Shirô a pu leur donner. Il sait qu’il ne gagnera pas une guerre conventionnelle.
Nemeht acquiesça.
— Kharn est sans foi ni loi. Il ne respecte aucune des règles basiques de la guerre.
— Sauf votre respect, Commandant, rétorquai-je, je ne saisis pas cette croyance qu’il puisse y avoir des règles à respecter dans un jeu de massacre.
Le dragonnier souffla du nez.
— C’est pourtant bien votre peuple qui a établi ces règles.
— Oui. Et comme tous les Shehas le savent, elles ne valent que pour des individus respectant le vivant. Établir de se battre entre armées régulières et épargner les civils n’entre pas dans la politique de Shirô. Il veut un territoire conquis sur lequel s’installer, pas vivre au milieu des Qhériaux.
— Sur ce point, nous sommes d’accord.
Je ne cherchai pas à prolonger cette discussion, préférant redresser Eyvas qui commençait à glisser de mes bras, alors que Nemeht poursuivait sa route. Tandis que le commandant prenait un peu plus d’avance, Koumô se glissa à ma hauteur.
— Si la situation est aussi inquiétante sur le front, pourquoi t’être porté volontaire pour Ajdaho ?
— Cela fait longtemps que je ne prends plus les décisions, les hommes que j’ai formés le font très bien.
Le prince de San hocha la tête sans conviction.
La fin du trajet ne fut ponctuée que par le bruit des pas et les griffes d’Onibi frottant le sol, le tout renforcé par la résonance naturelle des galeries. Je songeai que cette acoustique était aussi utile qu’incommodante. Les gardes responsables de la surveillance savaient très vite quand quelque chose se déplaçait dans les galeries. En revanche, s’ils ne savaient pas eux-mêmes se montrer discrets, ils étaient tout aussi vite repérés.
L’air chaud de la fin de l’été ne tarda plus à caresser nos visages et nous fûmes enfin à Ajdaho, la cité des Héros. Avec une épithète pareille, pas étonnant que les cadets s’imaginent déjà comme les futurs grands noms de l’armée.
La falaise au-dessus de nous était colossale, tout comme les dragons qui planaient à bonne hauteur dans le canyon. Eyvas les regardait avec un mélange d’émerveillement et de crainte que je comprenais parfaitement. Je ne m’étais pas rendu à Ajdaho très souvent, mais je me souvenais de ma première visite en compagnie de Maugrim, mon mentor, lorsque nous étions venus assister aux jeux célestes.
Le sentiment d’être minuscule au milieu des géants me revint alors que Nemeht poursuivait sa route. Ce vieux briscard vivait depuis si longtemps dans ce lieu inouï qu’il trouverait certainement une ville « classique » bien plus pittoresque.
— J’ignore si vous êtes coutumier de la ville, dans le doute, sachez que la rive droite appartient à l’Académie et qu’aucun civil n’est en droit de traverser les ponts. Les recrues peuvent se rendre sur la rive gauche seulement durant leur permission. Évidemment, en tant que général, vous pouvez aller où bon vous semble. Je me permettrais cependant de vous demander d’ouvrir l’œil. En ces temps de trouble, qui sait les complots qui peuvent se tramer dans notre dos.
J’acquiesçai distraitement, encore en proie avec mes souvenirs. Penser à mes précédentes venues, que ce soit avec Maugrim ou avec Einia, le résultat était le même : la nostalgie et les regrets. J’aurais aimé pouvoir admirer le paysage comme le faisait Eyvas.
— Et voilà vos quartiers ! conclut le commandant devant une maison troglodytique dont le fronton triangulaire avait été taillé à même la roche.
Le dragon en vol, emblème d’Ajdaho, y était parfaitement reconnaissable.
— Vos affaires ont déjà été déposées, poursuivit Nemeht. Je crois savoir que vous avez assisté plusieurs fois aux jeux célestes, vous saurez donc vous rendre à l’arène sans mon aide ?
— Je vous en prie, Commandant. Vous avez mieux à faire que materner vos supérieurs.
Si Nemeht perçut une pique dans ma remarque, il n’en laissa rien paraître : il effectua le salut militaire de rigueur et prit congé.
Tout le monde le disait, mais j’en avais la confirmation, il n’avait beau être « que » commandant, le vieux dragonnier était maître en sa propre maison. L’Académie d’Ajdaho était sa fierté familiale, après tout. Cela me convenait, pouvoir compter sur quelqu’un qui connaissait son affaire était sécurisant, qu’importe l’attitude de suffisance qu’il affichait, tant qu’il démontrait sa compétence.
— Tu peux prendre congé aussi, Capitaine, repris-je en voyant que Koumô était resté à mes côtés. Je suis certain qu’on te sollicite dans tous les sens pour être sûr que tu es fait pour ce poste.
— Merci, Général, salua le prince.
Je le regardai filer vers la caserne, appréciai une nouvelle fois le paysage dans les lueurs du matin, puis posai enfin Eyvas pour pouvoir entrer.
— La forêt va te manquer, mon grand, commentai-je à l’égard du grand loup qui nous suivait.
Onibi émit un geignement aigu, mais trouva vite sa place dans le grand salon. Mon fils, quant à lui, traversait déjà la maison de long en large en commentant chaque objet. Ce gosse avait vraiment deux visages : timide devant les inconnus, une tornade avec moi.
Tandis qu’Onibi tentait de se reposer, je m’intéressai à mes bagages et tirai d’un de mes sacs un cadre que j’emportai jusqu’à mon bureau, à l’étage.
— Je peux prendre la plus grande chambre ? piailla Eyvas en me voyant passer.
J’acquiesçai en me laissant tomber dans mon fauteuil avec fatigue, caressant du bout des doigts notre photo de famille. Cinq ans s’étaient écoulés depuis ce jour funeste, mais Einia me manquait toujours autant. Et le mal qui me rongeait un peu plus chaque jour n’arrangeait rien à mes angoisses.
Je renvoyai la tête en arrière, croisai les jambes sur mon bureau et fixai le plafond. Une école militaire, c’était toujours mieux que les horreurs du front dans mon état, mais si la Malveillance se développait, ça ne serait pas aussi « reposant » que je l’avais espéré.
Moi qui aurais voulu profiter de ce nouveau poste pour m’occuper d’Eyvas. Loin du front, j’aurais dû avoir plus de temps pour lui, avant qu’il ne soit trop tard.
Par appréhension, ma main se porta une nouvelle fois à ma nuque, la massant machinalement.
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