

Une course à toutes jambes
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Une course à toutes jambes
« Tu vas vraiment courir dans cette tenue ? » me demande Rudy avec un haussement de sourcil. Il me dévisage de haut en bas et attend visiblement ma réponse. C’est la seule que j’ai trouvé. Je me suis réveillé dans le brouillard ce matin. Heureusement que mon réveil affichait « Jour J comme Je gagne » en même temps qu’il sonnait, car j’avais définitivement perdu pied avec la réalité. Je me suis levé sans vraiment m’en rendre compte, j’ai pris un shaker protéiné et j’ai attrapé les vêtements que j’avais préparé la veille au soir sur une chaise.
Toujours aussi endormi, j’ai flotté jusqu’à notre point de rendez-vous à Rudy et moi, et me voilà, émergeant à peine, devant son air ahuri et légèrement réprobateur. Je baisse les yeux sur ma tenue et je remarque que j’ai pris un T-shirt sale et déchiré et mon short de sport du dimanche. Où est passé mon super T-shirt compressant ? Je l’ai acheté spécialement pour l’occasion. Je serre les dents, contrarié. Il doit s’agir d’une blague de Lola, mais elle n’est vraiment pas drôle. Pour un entraînement, je n’aurais rien dit, mais c’est le jour J ! Aujourd’hui je dois courir le semi-marathon, pas me ridiculiser dans cette tenue ! C’est grotesque. Je me pince le nez en inspirant lentement pour faire retomber ma contrariété.
« Tu n’as pas le temps de te changer, tu dois venir t’échauffer sinon la course commencera sans toi. » Rudy a raison. Depuis qu’on court ensemble, je me sens plus vivant que jamais. Je n’arrivais jamais à me motiver, mais depuis presque un an, j’attends notre session course avec impatience à chaque fois. Je commence à sautiller sur place. J’ai une sensation désagréable dans les jambes, comme un poids. Ce doit être le stress. En moins d’un an je suis passé de la larve de canapé au semi-marathon, il y a de quoi être nerveux. On accroche des dossards sur nos maillots et nous nous dirigeons vers les sas de départ. D’un commun accord, nous prenons un des derniers sas, nous ne courrons pas très vite. Autour de nous, la foule piaffe, les coureurs et coureuses sont concentrés, certains sont seuls, d’autres en groupes, mais la même énergie se dégage de tout le monde.
Les organisateurs parlent au micro, et l’excitation monte dans le sas. Je sens une poussée d’adrénaline qui fait refluer la nausée qui commençait à monter. Je suis gonflé à bloc ! Le coup part enfin, et la foule s’élance. Chacun part plus vite qu’il n’en a l’habitude, c’est normal, c’est toujours comme ça, je l’ai lu. Je me sens porté par tout ce monde. Il y a toujours ce poids dans mes jambes, et soudain, plus rien. J’ai l’impression de voler, de flotter, c’est une sensation incroyable. Je sens que je prends de la vitesse, Rudy a du mal à me suivre. Il me fait signe de partir devant, alors je fonce. Je dépasse des gens sans les voir, je me sens tellement vivant !
Tout se passe comme dans un rêve, jusqu’à ce qu’une douleur me prenne au creux du coude. Je jette un regard, mais je ne vois rien. Un autre coureur a dû me donner un coup sans faire exprès, ce n’est pas grave. Je continue à courir. Mes jambes sont si légères, elles répondent à chacun de mes souhaits, elles bondissent, se tendent, c’est fabuleux. J’entends une sirène non loin de là, quelqu’un s’est peut-être blessé, ça arrive. Je regarde autour de moi, mais Rudy n’est plus dans mon champ de vision. J’ignore où nous en sommes du parcours, je suis les flèches et les bénévoles qui nous attendent à chaque intersection. Tout le monde se retourne sur mon passage, je suis absolument impressionnant, je le sens. Je vois la ligne d’arrivée, il me semble que l’on est parti il y a moins d’une heure, c’est à n’y rien comprendre. Je la vois s’approcher, de plus en plus vite. Lorsque je sens enfin le bandeau se déchirer contre mon torse, je jubile. Je suis le premier ! J’ai dépassé tout le monde, je suis le numéro un ! Je ferme les yeux, une larme coule sur ma joue. C’est comme dans un rêve.
Une énorme secousse me traverse, et je me sens balloté. Des gens s’activent autour de moi, je suis couché. Une femme hurle à côté de moi, je la regarde : c’est Vic, la compagne de Rudy. Je ne comprends rien à ce qu’elle dit. J’ai une sensation étrange, et je ne comprends pas où je suis, que se passe-t-il ? Je regarde autour de moi, ma tête est lourde et je suis trempé. C’est normal après une telle course. Les médecins s’écartent et je vois Lola, elle est essoufflée et rouge, elle a l’air d’avoir pleuré. Elle me tient la main et je ne comprends rien à ce qu’elle dit. On me met un masque à oxygène sur le visage, et mon cœur se calme. Je ferme les yeux un instant.
Quand je les ouvre à nouveaux, je suis dans une chambre blanche. Lola est à côté de moi et elle me tient toujours la main. Je lui caresse doucement les doigts et elle lève la tête. Elle a l’air fatigué.
« Tu as vu, je suis arrivé le premier au semi, c’est incroyable, non ? » réussis-je à murmurer en lui souriant. Je suis si fatigué. Elle me dévisage sans rien dire, puis elle me serre la main plus fort.
« Oh, David… C’est la semaine prochaine le semi-marathon. Tu es allé t’entrainer avec Rudy ce matin, et vous avez fait la course l’un contre l’autre. Quand le feu est passé au rouge pour vous, vous avez décidé de traverser quand même, mais un camion était en route, il n’a pas eu le temps de freiner. Vous avez été percuté. Rudy… Il est mort sur le coup. Et toi, tu as eu les jambes écrasées. Quand je suis arrivée aux urgences, les médecins m’ont dit qu’il fallait t’opérer. Je n’avais pas compris… »
Elle sanglote en me serrant la main, et je peine à réaliser. Les questions se bousculent dans ma tête, puis soudain, tout s’arrête. J’ai les yeux fixés sur le drap. Il est posé sur le matelas. Là où sont censés être mes genoux. Il n’y a rien en dessous, à part le sac de Lola, là où devraient se trouver mes pieds. Ma tête tourne, mon souffle s’accélèrent, je me rallonge. Lola me parle, mais je n’entends rien. Je ferme les yeux. Je revois ma course, je vais avoir la médaille. Laissez-moi recevoir ma médaille, je veux que Rudy soit là pour la voir autour de mon cou.

