Nous pourrions considérer l’acte même de l’écriture comme une contrainte, une manière imparfaite de transposer la pensée intérieure au réel, une sorte de processus de matérialisation du cogito.

Mais il n'y a pas d'unique méthode à la projection de notre pensée, car nous pouvons au moins en distinguer trois.

D’abord, la parole qui nécessite l’engagement du corps et de l’esprit, et qui s’inscrit dans une temporalité présente et active. Sitôt que je parle, on m’entend et l’on peut me répondre.

Puis, il y a l’écrit qui s’appuie principalement sur l’esprit plus que le corps (le fond et la forme), s’inscrivant dans une temporalité future limitant l’activité. Ma lettre ne prend forme pour autrui qu’après avoir été lue et pour me répondre il faut prendre le temps d’écrire.

Enfin, le produit de notre modernité, l’écrit instantané via les messageries en ligne, qui vient dénaturer et confondre l’écrit et la parole. Où, pour les plus aguerris, l’écrit se rédige aussi vite que la parole ne s’exprime.

Au fond, il s’agit d’une conséquence logique. Les sociétés, du moins occidentales, sont prises dans l’engrenage technico-financier, faisant du temps un facteur de profit. Il convient donc d’accélérer les choses, dont l’expression de la pensée intérieure. Or, il ne peut y avoir d’acte plus imparfait que celui-ci. Nous connaissons-nous assez nous-mêmes pour prétendre à la parfaite expression de notre pensée ? À l’évidence, il s’agit d’un travail laborieux, qui par manque de temps manquerait de justesse.

Néanmoins, ne faisons pas de l’écrit un idéal de la transcription de la pensée, car il nous faut aussi considérer la parole. En effet, parler ou débattre, même sans grande rigueur, nourrit la réflexion. Toutefois, la maïeutique, processus de questionnement, semble être le seul moyen oral nous permettant de nous guider vers nos propres vérités, vers la compréhension de nos pensées intérieures. Mais bien que comprendre nos pensées soit essentiel, cela ne signifie pas pour autant parvenir à les exprimer.

Concluons donc : la maïeutique est imparfaite et nécessite la présence et la pertinence d’un alter ego/cogito. La parole ne semble donc pas apporter de solution satisfaisante à l’expression de la pensée, par conséquent nous choisirons l’écrit.

Mais quelle importance y a-t-il à exprimer avec justesse nos pensées ?

En vérité, cela participe à la compréhension de nous-même et, par extension, à la compréhension du monde qui nous entoure. Et n'est-ce pas grâce à cette connaissance que nous pouvons lutter contre l'ignorance, et la violence qu'elle engendre ?

Portrait d'Érasme par Hans Holbein le Jeune, 1528