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Mon addiction au mérite

Mon addiction au mérite

Publié le 29 avr. 2021 Mis à jour le 8 juil. 2021 Politique
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Mon addiction au mérite

Ma vie s’est-elle construite sur un accident ? Sophie Aumon s’interroge sur à quel point elle a décidé de ce qui lui arrive. 

Certains pensent qu'ils subissent leur destin, ou d'autres plus rationnels, que ce déroulé contrôlé n'est que le fruit de leur travail, de leurs efforts, pour aller dans cette direction.

Sophie Aumon

Déterminisme ou libre-arbitre ? Destin ou décision personnelle ? Suis-je responsable de ce qu’il m’arrive ou bien ai-je eu de la chance ?

J’ai apprécié sa lucidité et ses doutes car “lorsqu’il s’agit des honneurs, on rame avec le mérite personnel et on vogue à pleines voiles avec la naissance”. Montesquieux, Mes Pensées.

Mon premier brouillon s’est vite transformé en une 20aine de pages de notes, de livres à lire, d’études et de statistiques à interpréter. Le sujet est vaste. Bien trop pour un article non scientifique. J’ai tout jeté, pour ne garder que trois éléments de réflexion.
 
Le premier point s’appuie sur ce que l’on retient de l’histoire, la grande. Du moins celle qui reste dans nos têtes : les idées ne tombent pas du ciel

Le second point tourne autour de la table des destinées, un outil de sociologie 
découvert en cours d’économie : votre point de départ détermine votre point d’arrivée.

Le troisième point se propose de bousculer nos jugements de valeur dans le temps et dans l’espace : ce qui a de la valeur aujourd’hui, n’en aura pas demain.

 

De la monarchie à la démocratie, l’Ancien-Régime et les Temps Modernes

 

Comment est arrivée cette idée du mérite ? 

De façon caricaturale, cela donne quelque chose comme : il y a bien longtemps, la répartition du pouvoir et des privilèges (celui de ne pas payer d'impôts, une vie oisive et des lois différentes selon votre rang) était déterminée par la naissance. Maintenant, il est déterminé par le fruit du travail et de l’effort. Voilà en quelques mots, l’histoire de l’Occident. 

Sous la société d’Ancien-Régime et jusqu’à la Révolution de 1789, le roi détient un pouvoir absolu et de droit divin. Autour de lui gravitent le clergé, la noblesse et le Tiers-Etat. 

Le clergé pri. La noblesse combat. Le Tiers-Etat travaille. C’est la transmission des privilèges, titres et propriété à la naissance et l’ordre naturel établi sur Terre par Dieu qui justifient les différences entre les groupes sociaux.


La bascule idéologique

 

En démocratie, les sujets deviennent des citoyens libres et égaux, en droits et en devoirs. Les privilèges sont abolis. Le peuple est souverain. Il détient et contrôle le pouvoir. Il élit des représentants qui défendent l’intérêt général à travers des élections. Les décisions sont prises à la majorité.

La Constitution définit les règles d’exercice du pouvoir et définit le rôle des institutions et de leur champ d’exercice. Les pouvoirs sont séparés et indépendants : exécutif, législatif et judiciaire.

Théoriquement, les barrières de classes, de religion, de races et de cultures tombent. Les classes sociales n’existent plus. Les rémunérations, les pouvoirs et les privilèges s’obtiennent grâce au mérite contre le favoritisme et les logiques de cours de l’ancien temps. 

Le mérite trouve un espace libre. L’idée se répand à travers l’école, le récit national et le cinéma.

Et on l’aime cette idée de mérite. Car elle est synonyme de liberté. De choix personnels. De responsabilisation. De Justice. De développement personnel. 

Vos échecs et vos réussites sont fonction de vos efforts. Vous êtes libres et responsables.


"Les gens comme moi n’écrivent pas de livre"

 

“Je connais l'agitation de la vie en hauteur, les cages d'escalier sombres et sales, les ascenseurs capricieux qui sentent l'urine et la fourrure de chien mouillée, le concierge grincheux, l'appréhension que vous ressentez lorsque vous entrez ou sortez du bâtiment, surtout la nuit. Je connais ce sentiment d'être coupé du monde, malgré une vue si merveilleuse de celui-ci à travers une fenêtre dans le ciel; ce sentiment d'isolement, en dépit d'être entouré par des centaines d'autres personnes au-dessus, en dessous et de chaque côté de vous. Mais surtout, je comprends le sentiment que vous êtes invisible, malgré le fait que votre communauté peut être vue à des kilomètres à la ronde et qu'elle est l'une des caractéristiques les plus importantes de la ligne d'horizon de la ville.”

Darren McGarvey raconte son enfance dans un quartier pauvre du Royaume-Uni dans le livre “Poverty Safari”. Être en bas de l’échelle sociale, c’est aussi être en bas de la pyramide de Maslow. 

Le livre connaît un succès fort en remportant le prix Orwell en 2018 et se positionne dans le Top 10 des meilleurs livres pour The Sunday Times.

“Les gens comme moi n’écrivent pas de livre”. Rien n’empêche personne d’écrire un livre. Des feuilles blanches, un stylo et une histoire à raconter. Rien de coûteux, rien que personne ne puisse déjà faire. 

Mais tout le monde comprend que ce n’est pas l’absence de barrières physiques qui assure la liberté de faire. Les chaînes les plus solides sont les chaînes mentales.

Tout le monde peut se promener à Paris, rue du Faubourg-Saint-Honoré, dans le 8e arrondissement, mais combien rentre dans les boutiques de luxe sans ressentir de gêne ? Combien de personnes des classes populaires osent prendre la plume pour partager leur point de vue sans se sentir illégitime ? 

Lorsque Darren McGarvey écrit que les gens comme lui n’écrivent pas de livre, il dit la vérité.


Tel père tel fils dit le dicton

 

Darren McGarvey raconte qu’on lui a toujours dit que les classes sociales n’existent plus au Royaume-Uni, que c’est un problème résolu. Lui persiste à y croire. Il a même le sentiment d’avoir appartenu à au moins deux classes sociales : celle des travailleurs dans laquelle il est né, et la classe moyenne dans laquelle il vit aujourd'hui. 

Ce livre invite les lecteurs à examiner leurs propres points de vue et préjugés, à rechercher la vérité à travers le point de vue des personnes concernées et non à partir de sa situation personnelle. Changer de classe sociale est similaire à l'expérience d'un changement de pays et de culture.

Quand j'ai reposé le livre, j'ai compris une chose avec certitude: il n'y a pas de solution de classe moyenne ou haute qui convienne pour un problème de la classe des travailleurs.

Son histoire m’a rappelé un outil découvert en cours d’économie. Notamment un chapitre lié à la mobilité sociale. 

La question de la mobilité sociale est vive dans les sociétés individualistes, car elle est à la base de nos discours. On considère que c’est un droit pour n’importe qui de pouvoir occuper n’importe quelle position, peu importe son origine sociale. 

C’est aussi ce qui assure que les personnes les plus aptes arrivent aux bons postes, contrairement à avant, où c’était votre position dans l’espace social qui jouait à plein régime. 

Le tableau s’appelle la table de destinée. Peut-on toujours prédire les trajectoires socioprofessionnelles des individus ? 

Voici un exemple avec les chiffres de l’INSEE pour l’année 2014-2015 en France :

 

Table de destiné - Mobilité Sociale en France en 2014-2015

 

Le tableau se lit horizontalement. Elle représente la situation professionnelle des fils, à partir de celle de leur père. Par exemple, 25% des fils d'agriculteurs sont devenus eux-mêmes agriculteurs. 32.5% sont devenus ouvriers. 8.8% sont devenus cadres supérieurs. 

La fluidité sociale signifie que la probabilité de prédire votre point d’arrivée en fonction de votre point de départ est faible.  Si vous êtes né dans une famille aisée, vous avez autant de chance de devenir cadre, professeur, ouvrier ou agriculteur. 

L’immobilité sociale signifie que l’on peut prédire fortement votre point d’arrivée en fonction de votre point de départ. 

Les chiffres du tableau sont simples à lire, mais ardus à comprendre. Pour saisir ce qu’il signifie il faut être capable de répondre à beaucoup de questions : 

  • Quelle est l’influence de la situation économique et politique sur la mobilité des individus ? 

  • Quelle est la part de mobilité structurelle ? Par exemple, la baisse du nombre d’emplois agricoles en France et la croissance du nombre de postes d’employés et de cadres ont entraîné une mobilité naturelle des personnes. 

  • Est-ce que ces catégories ne regroupent pas des réalités bien différentes ? Est-ce qu’un agriculteur n’est pas un chef d'entreprise ? Est-ce qu’un ouvrier aujourd’hui possède le même niveau de compétence qu’un ouvrier avant ? Est-ce qu’un cadre occupe les mêmes responsabilités qu’un cadre il y a 40 ans ? 

  • Où sont les femmes ? Je vous mets le lien de l’étude complète pour les chiffres en France à partir de 1970 concernant les femmes, et si vous voulez un compte rendu plus digeste, c'est ici.


J'suis juste un gamin normal, j'pose des questions.

Eric Cartman


La table de mobilité fonctionne comme une boîte noire. Faites entrer 100 personnes dans la boîte. Fermez le couvercle. Secouez. En sortie, vous obtenez grosso modo la même distribution en France depuis 40 ans. 

Ce que l’on remarque, c’est une forte immobilité sociale pour les catégories des ouvriers et des cadres supérieurs. Des catégories qui demandent des compétences et des connaissances éloignées. 

La catégorie “professions intermédiaires” semble la moins déterminante de toutes. Mais encore une fois, la simplicité des chiffres masque une réalité plus complexe, car elle renferme des infirmiers-ières, des assistants-es sociaux-ales, des instit', des professeurs-es, des commerciaux-ales, des comptables, des contremaîtres-ses, des techniciens-nes etc. Des métiers aux conditions de travail et aux salaires différents.

 

Bob l’éponge

 

Les enfants sont de vraies éponges. Ils écoutent, observent, mémorisent et répètent tout. C’est pour cette raison qu’une attention si forte est portée autour de l’éducation des enfants. Aucun parent ne veut négliger cette étape, car on sait que la qualité de l’environnement est vital pour leur développement. 

Ce qui peut faire écho au concept d’habitus de Bourdieu dont j'avais discuté en partie ici : les sciences humaines sont-elles utiles ? 

Notre mentalité se forme par l’intériorisation de ce qui est à l’extérieur de nous - lieu de naissance, sexe, famille, règles sociales, loisirs, habitudes de consommation, métiers valorisés, relations aux autres, manière de parler, culture collective, vision du monde, idées, valeurs, religion -  c’est-à-dire de notre environnement au sens large

L’habitus est un concept difficile à saisir dans les sociétés individualistes, car il va à l’encontre de l’idée de liberté totale et de la place de l’individu érigé comme valeurs centrales. 

L’individualisme est une idéologie qui considère que l’intérêt de l’individu est supérieur à l’intérêt du groupe. Dans sa version extrême, il tourne à l’égoïsme où l’individu centré sur lui-même s’affranchit de tout devoir de solidarité envers la famille, la communauté ou l'État.

Mal compris, l’habitus est perçu comme un déterminisme. Mais pour Bourdieu, l’habitus n’est pas le destin

Selon l’habitus que j’ai, je verrai ou je ne verrai pas certaines choses dans la même situation et voyant ou ne voyant pas cette chose, je serai incité par mon habitus à faire ou à ne pas faire certaines choses. Par exemple, entre un travail ennuyeux et bien payé, et un travail intéressant et mal payé, « si je suis fils de professeur, il y a des chances que je choisisse un métier plutôt intéressant et mal payé.

Bourdieu

On s’oriente en fonction des valeurs


Ce que l'on valorise aujourd’hui, ne le sera pas demain


Je prends souvent mes grand-parents comme référence. Leurs expériences de vie me donnent un point d’appui pour mettre le présent en relief. Echanger avec eux, c'est avoir un accès direct à l'histoire vécue. Et en l’espace d’une vie humaine, l’histoire de la Bretagne a connu des changements sociétaux, culturels et politiques renversants.


Ce point de référence me permet de visualiser plus concrètement le passage du temps. D’inscrire le présent dans la longue durée. 

Pour mes grands-parents, le maire, l’instituteur, le médecin et le curé étaient des figures d’autorités et de prestiges reconnues. Cela a changé en moins de 100 ans.

 


Ce que l'on valorise à l’intérieur d'un pays, ne l’est pas à l’extérieur

 

Cela peut vous choquer, mais les carrières en droit sont pour ceux qui ne réussissent pas bien au bac, par opposition au système américain où il est prestigieux d'étudier le droit.

Amine Riad Remache - Auteur sur Panodyssey

Ça, je l'ai appris grâce à Amine Riad Remache qui explique le fonctionnement du système éducatif en Algérie

En France, même si étudier le droit ou médecine n’est plus aussi prestigieux qu'avant, ou réservé à une élite, j’ai toujours pensé que cela restait une voie valorisée partout dans le monde. Ce n’est pas le cas en Algérie.

 

Ce que l'on valorise dans une famille, ne l’est pas dans une autre

 

J’avais une discussion avec un ami sur l’éducation en général. En substance cela donnait :

  • Plus vous êtes bas sur l’échelle sociale, moins la famille joue un rôle efficace dans les stratégies d’éducation mises en place et le soutien scolaire. Le soutien financier est plus faible. La prise de risque plus forte.

  • Plus vous êtes haut dans la hierarchie sociale, plus les stratégies parentales sont mises en place en amont, l'environnement propice au soutien scolaire et une meilleure la connaissance des voies viables professionnellement parlant. Mais aussi, plus vous ressentez de pression à la réussite. 

Il m'a dit un jour qu'il "ne pouvait pas juste devenir prof ou avocat."

 

Les gens comme moi ne parlent pas allemand

 

Alors coup de chance ou coup du destin ? 

Comme tout le monde, j’aime ce chant des sirènes qui résonne : la liberté, l’égalité des chances, la justice, la responsabilité et les efforts qui seront récompensés plus tard. 

Nous avons des caractères, des forces et des traits de personnalité. Il y a beaucoup de complexité à aborder. Mais je pense que l’on peut dire qu’il y a une conversation entre nous et les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons. Ici se trouve une première carte à jouer.

Je pense qu’on est déterminé a priori. Et tant que l’on ne nous a pas montré que l’on pouvait faire autrement, on reste un pur produit de ce que l’on est. 

Chez certains, la mécanique tourne de manière flagrante. La seule chose que je peux faire pour me créer de la liberté, c’est de faire des pas de côté. Par rapport à l’époque, à mon milieu social, aux jugements de valeur qui suivent. Ici se trouve une seconde carte à jouer.

Je parlais de ma rencontre avec mon prof d’anglais dans cet article. Je peux vous dire qu’il est responsable de bien plus que l’apprentissage d’une langue.

Si j’ai appris à coder, à parler d’autres langues, le webmarketing ou obtenu un emploi en Allemagne, il y est pour beaucoup. 

En débloquant ma compétence apprentissage en autonomie, j’ai pu vivre une des expériences de vie les plus marquantes de ma vie. Et une dont je suis le plus fier, car elle récompense une somme d'efforts importants sur un projet de long terme

Il m’a montré que la répétition et la pratique permettent d'aller très loin. J’ai eu un sacré coup de chance ce jour-là !

 

Photo de couverture par Michał Parzuchowski sur Unsplash.

 

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Commentaires (5)

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Christelle Bordet il y a 2 ans

intéressant ! Cela m'a fait penser à la vidéo du Précepteur "sommes-nous responsables de notre succès". Si tu ne l'a pas déjà vue, c'est ici et c'est passionnant https://www.youtube.com/watch?v=0fbcLXhqOnU&t=27s
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Julien Guyomard il y a 2 ans

Je ne connais pas, je vais aller regarder ça.
Moi, j'ai passé mon enfance à la ferme entre les lapins, les poules, gribouille la chienne et les champs !

Et je fais comme à la ferme : je pense, je sème, je récole et je n'arrête pas pour le meilleur et l'authentique !

Euh... sans pub, du bio, du pur, du bon sens et surtout de l'action... du concret quoi ! 🐝
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Julien Guyomard il y a 2 ans

Les lapins, les poules et Gribouille, ça sent le vécu :D - Panodyssey, élevé aux grains bio et en liberté !
Oui, la ferme s'appelait " Au petit Clou " dans le pays de Caux...

Coincé entre Maupassant, les impressionnistes et André Robert Raimbourg dit Bourvil... Qui était l'un des clients de la droguerie du village, magasin tenu par mon papi côté mer ;-)

... çà laisse des traces ! ;-)

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