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Un prince au village

Un prince au village

Publié le 5 mars 2020 Mis à jour le 5 mars 2020 Curiosités
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Un prince au village

Un prince au village

 

Dès que nous nous voyons, Ali et moi, nous sommes saisis d’un fou rire irrésistible – sans bien savoir pour­quoi.

Il serait peut-être astucieux de recevoir tous les migrants de cette façon.

Parfois, le serveur pakistanais du Café carré arrive tard dans la matinée ; par­fois à peine suis-je assis pour travailler mes pages, l’étui à cigarettes argenté sur la gauche, deux aérosols Trimbow et Bronchodual sur la droite, une laine à mon cou, il m’apporte déjà mon petit-déjeuner ; parfois il me le fait payer, parfois pas. Une dis­tinction émane de cette dé­contraction.

Il est tou­jours très bien vêtu, avec une sorte de légè­reté élégante qu’il me semble recon­naître dans les do­cumentaires sur l’Inde et l’Asie, mais comment être sûr, je bouge peu, surtout pas. Il y a de la sou­plesse dans sa démarche : il évolue, sa lenteur pouvant passer pour de l’indolence ou une certaine paresse, à moins de cir­conspection ? à croire qu’il serait en milieu hostile. Non, à mon avis, Ali n’est pas tout à fait là – entre deux mondes comme entre deux eaux.

Je ne parle plus qu’à mon ami pakistanais dans cette ville où je sais d’avance tout ce qui peut m’être dit : comme il me comprend à peine et que je ne le com­prends pas du tout, notre relation est heureuse. Il me regarde avec une affection timide.

Je lui dis qu’il devrait tout de même ap­prendre à mieux parler français, sa vie ici serait plus intéressante, ainsi de suite.

Il me regarde avec une affection décuplée.

Bon, tu t’en fous, c’est ça ?

Il est pris d’un fou rire heureux.

______

 

Quand il pleut, Ali n’admet pas de sortir du Café car­ré, devant la Maison carrée, honorable bâtiment. Il a des réti­cences de chat. Il fait du surplace der­rière le comptoir à la façon du sportif en salle sur un tapis de course. La mousson a dû traumatiser son enfance pakistanaise.

Et justement il pleut quand le marathon annuel vient à passer devant le parvis du monument romain. Mon ami étrange, à cette vue, est écroulé de rire. Il ne s’explique pas, il s’explique rare­ment, mais je crois com­prendre. Il évident que ce garçon aime s’amuser, malgré tout. Et qu’y-a-t-il de plus amusant qu’un Occidental ? À quoi bon se dépêcher ? À moins qu’ils ne courent après un para­pluie ? Ainsi de suite.

Les sportifs défilent, leurs survêtements sont un arc-en-ciel humain en déplacement horizontal, tous sont extrêmement poussifs, lourds, en sueur – trop physiques. La pluie claque des mains. Légère. Rien ne me perturbe. J’écris avec autorité ma Merveilleuse Autobio­graphie – 1001 vies, à l’abri de l’averse sous un parasol, le regard fixé sur la ligne bleue de l’Arrivée. Mon marathon per­son­nel.

Ali s’assied près de moi sous le toit de toile sans se soucier s’il me dérange. Il va de soi que je ne lui en fais rien sa­voir : il est de la diversité – alors que j’aurais en­voyé balader n’importe quelle souche. Il me regarde travailler. Ça le repose. Un coup de vent disperse mes notes, je cours après comme je cours après le ta­lent. Il me re­garde courir avec intérêt.

À peu de temps de là, pour les Fêtes de la romanité, tous les garçons café devant se déguiser de circonstances, une foule de Bar­bares envahit les terrasses de la noble et an­tique cité. Vous connaissez mon amour de l’humanité. Ce n’était pas simple. C’est alors que ce Pakista­nais du feu de Dieu re­fuse catégori­quement de servir en sénateur romain.

Je suis musulman, pas comique.

J’apprenais ainsi qu’il s’exprimait bien mieux – dès qu’il s’agissait de religion – que je ne le supposais dans mon ingénui­té.

Souvent, debout près de moi, Ali s’absente en lui-même, son plateau sous le bras. Je n’en doute pas, sa rêverie est déposée dans le filet du compar­timent de bois d’un train à va­peur hindou. La cheminée éternue des nuages de fumée qui luttent contre les trombes d’eau de la mousson. Si bien caché quil semble une de ces fi­gu­res mê­lée aux circonvo­lutions dun tapis oriental dans le jeu cher­chez lintrus, le visage d’Ali s’y confond avec les volutes de la fumée dans le soleil couchant.

 

à suivre dans :

http://impeccablemichelcastanier.over-blog.com

[l’image est de Samuel_van_Hoogstraten]

 

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