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Marie - Conseillière Emploi - Reporting

Marie - Conseillière Emploi - Reporting

Publié le 27 avr. 2021 Mis à jour le 28 avr. 2021 Éducation et formation
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Marie - Conseillière Emploi - Reporting

Confiance, Gratitude & Engagement

Aïe, aïe aïe… déjà trente minutes de retard alors que la matinée ne fait que commencer. Marie, la conseillère aguerrie n’est pas mauvaise pour s’organiser, elle a son style, elle ne manque jamais de rappeler un inscrit. En revanche, les nouveaux indicateurs de performance la stressent. Ce matin, il y avait du rouge sur le tableau de bord. Cela lui rappelle les dictées à l’école primaire, les ronds et traits écarlates venant sanctionner son manque de mémoire. L’orthographe n’était pas son fort, et néanmoins, elle méritait de bonnes notes en expression écrite, sa mère le lui a toujours dit. Créative, elle essaie de donner du sens à son poste, fonction importante qu’elle ne trouve pas suffisamment mise en valeur. Pourtant la mission est claire : aider chaque personne à trouver un emploi qui lui permet de vivre décemment.

Marie perd son temps à remplir des cases sur l’écran. Une fois sur deux, ça dépasse, les propositions de valeurs dans la liste déroulante ne sont pas les bonnes. Ces données alimentent des reportings que la conseillère ne comprend pas, dont aucun de ses collègues ne sait à quoi ils servent. Certains parlent de flicage, d’autres soupirent simplement, considérant que les chefs savent ce qu’ils font. Personne ne les challenge vraiment, Marie est la première à tenir sa langue, ils sont accompagnés d’une armée de consultants à vrai dire. Une dernière case à remplir avant que la conseillère ne puisse se lancer avec le premier inscrit de la journée. Durée moyenne des appels de la veille… elle n’en a aucune idée. Cela n’a pas de sens pour elle, la durée ne préjuge pas du besoin de la personne ni de la qualité du service apporté. Tant pis ! Elle inscrit une valeur au doigt mouillé, probablement éloignée de la réalité. Le sermon sera de mise, ses indicateurs du mois sont de “mauvaise” qualité d’après le manager. Peu de collègues sont assidus, cela la fait sourire d’imaginer un directeur lire des chiffres complètement faux. Ce qui la fait moins sourire, ce sont les impacts des décisions prises sur la base de ces chiffres. Elle souffle un bon coup, saisit le combiné puis compose le numéro de son rendez-vous de dix heures… il est dix heures quarante… Marie est soulagée de passer au vrai travail :

- Bonjour Mr Tolmache, Marie Bonbur votre conseillère emploi.

- Bonjour, madame, je suis ravi d’avoir votre appel. J’ai eu peur un instant que vous m’ayez oublié.

- Non, ne vous inquiétez pas, ce sont ces maudits reportings. Je dois soumettre un document tous les jours avant dix heures, j’étais encore en retard ce matin, car ce n’est pas clair.

- Je comprends, c’est pareil dans mon métier. D’ailleurs, je plaide coupable, je contribuais à développer les outils.

- Attendez, j’accède à votre dossier.

Mr Tolmache est développeur, Marie estime qu’il ne devrait pas avoir de mal à retrouver un emploi. Pour elle, ces gens-là sont des machines, sympathiques, sans grande intelligence émotionnelle. La conseillère tapote sur son clavier, le demandeur d’emploi reste silencieux ce qui surprend Marie à l’autre bout du téléphone. Habituellement, les inscrits sont bavards, le 1er rendez-vous leur fait toujours un peu peur. La conseillère emploi poursuit :

- J’ai plus de cent offres disponibles correspondant à votre profil. Je ne vais pas vous être très utile à vrai dire.

- Si, car je souhaite me réorienter professionnellement. Voyez-vous, j’ai constaté que la mécanisation des processus en entreprise, l’hyper spécialisation des salariés, tend à diminuer l’engagement au travail. Moi-même je suis victime de ça, et le développement c’est terminé. J’ai envie de monter une ferme en permaculture.

- Intéressant. Vous avez des compétences en la matière ? questionne-t-elle très professionnelle.

Le ton de voix de Marie laisse deviner un intérêt croissant pour son inscrit. Attendri, Mr Tolmache reprend son discours :

- J’ai la conviction qu’il faut faire confiance à la nature plutôt que de l’agresser avec des intrants chimiques. Avec les bonnes combinaisons de plantes, un potager peut être très robuste. C’est tellement gratifiant de récolter et de se délecter du fruit de son travail.

- Confiance et gratitude… deux choses que j’aimerais connaître ici… soupire la conseillère.

- C’est-à-dire ?

- Voyez-vous, j’aime beaucoup mon métier. Je l’exerce depuis trente ans et cela m’ira très bien si je fais toute ma carrière ici. Cependant, le management nous étouffe. On a noté une amélioration avec les collègues depuis l’année dernière, mais c’est encore frustrant. Ils sont venus nous voir avec leur management participatif. Chacun a pu partager ses idées, j’étais très enthousiaste. Après trente ans, croyez-vous bien que j’en ai des idées pour améliorer le service aux demandeurs d’emploi. Une de mes idées a eu du succès, j’étais toute contente.

- Génial, quelle était-elle ?

- Génial peut être, ce n’est plus mon idée....

- Que voulez-vous dire ? questionne l’homme se voulant réconfortant.

L’entretien vire à la psychothérapie, Marie parle plus d’elle que de son inscrit. C’est pourtant de son entretien à lui dont il s’agit. Empathique, l’homme l’invite à continuer.

- Pour la faire courte, je proposais de créer des groupes de pairs pour stimuler les individus dans leur recherche, créer une sorte d’émulation.

- Mais c’est très bien ça. Qu’est-il advenu de cette initiative ?

- Elle existe, fonctionne très bien d’ailleurs. Elle recueille de bons avis des participants. Quant à moi, pas un seul merci. En plus, on ne me fait pas confiance et on me colle tous ces indicateurs à remplir. J’en ai la barbe.

- J’ai vécu ça aussi. Dans ce type de cadre, il faut s’affirmer, prendre sa place. Sinon on nous pique les idées. C’est un peu la loi de la jungle.

- Bref, c’est comme ça, en attendant j’ai de la chance d'échanger avec des gens qui savent écouter, des gens comme vous. Je suis vraiment désolé, on n’a pas eu le temps de parler plus en détail de votre projet, je suis déjà en retard pour mon prochain rendez-vous. Ce que je vous propose, c’est de vous envoyer un ensemble de liens vers des ressources qui pourront vous aider, en attendant notre prochain rendez-vous.

- Cela me convient, au revoir, Madame.

Bip...Bip… Marie souffle, l’énergie est remontée. Cet homme avait l’air de savoir ce qu’il voulait. Elle est toute disponible pour aider sa prochaine inscrite, une femme de ménage, tragiquement touchée par un handicap. Une autre paire de manches. Elle sera pleinement disponible pour elle.

FIN.

Qu'avez-vous ressenti à la lecture de ce récit ? Avez-vous déjà vécu ce genre de situation ?

Pour aller plus loin - Analyse intégrale

Voici les éléments utilisés pour construire cette scène qui montre une friction collective (rappel théorique à la fin de l'article).

 Marie (Agir individuel : comportements)

- Ôte le masque pour exprimer ses ressentis lorsqu’elle en a l’occasion (grâce à l'écoute du demandeur d’emploi)

- Participe quand on lui tend la main, tourne le dos avec rancune sans gratitude de la part de l'organisation pour ses idées

- Ne respecte pas le cadre de reporting, prend sur elle pour vivre les remontrances

 Organisation (Agir collectif : organisation, gouvernance)

- Indicateurs de performances quantitatifs plutôt que qualitatifs

- Construction de nouveaux dispositifs par sollicitation d'avis, avec des consultants.

- Incitation à la prise de leadership sans accompagnement

- Indifférence ou défiance passive des conseillers, plutôt obéissants

 Marie (Être individuel : aspirations, besoins, valeurs)

- Forte croyance en l'importance de son métier

- Besoin de reconnaissance

- Besoin qu’on lui fasse confiance

 Collectif (Être collectif : culture d’entreprise, ADN, mission)

- Culture managériale récente de la performance

- Chacun à sa place, respect de la hiérarchie

- Les émotions ne sont pas professionnelles

Rappel théorique

L’analyse intégrale, tirée de la théorie de Ken Wilber, cherche à comprendre les causes de la situation faisant intervenir quatre dimensions :

  • L'Être individuel : attitudes, croyances, ego, émotions, sentiments, aspirations, valeurs personnelles.

  • L’Agir individuel : comportements observables (ce que je dis/fais), pratique du pouvoir, modes de communication.

  • L'Être collectif : raison d'être et culture de l'organisation, mission, croyances collectives, mythes, tabous, ADN, valeurs, ambitions.

  • L’Agir collectif : structure, gouvernance, processus, rituels, outils, modes de prise de décisions, réunions, communication, management.

Les quatres dimensions sont interdépendantes, à savoir que :

  • L’individu comme le collectif s’épanouit en alignant son Être et son Agir, des frictions apparaissent dans le cas inverse.

  • Le collectif est une émergence des individus et de leurs relations.

  • L’individu est contraint par le collectif dans son Agir et influencé dans son Être.

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