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Terrorisme et cohésion nationale

Terrorisme et cohésion nationale

Published Feb 1, 2020 Updated Feb 1, 2020 Politics
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Terrorisme et cohésion nationale

« Nécessaire et inexcusable, ainsi le meurtre leur apparaissait ». Dans Les Justes (1949), Albert Camus met en scène le révolutionnaire Kaliayev qui renonce à son entreprise terroriste d'assassiner le grand-duc Serge en raison de la présence d'enfants dans sa calèche. Kaliayev n'est pas prêt à aliéner les valeurs humanistes qui l'imprègnent même si la cause qui l'anime vise un plus grand bien pour le peuple tout entier. Il remarque en outre qu'une atteinte à des enfants innocents pourrait empêcher la nation de supporter sa cause. Le terrorisme est ici vu comme un moyen nécessaire, bien qu'inexcusable, d'améliorer le sort et l'unité de la nation. Toutefois, le terrorisme semble avoir changé de visage depuis quelques décennies et vise à inspirer la peur pour déstabiliser les régimes libéraux par l'usage de la violence. Les « sociétés ouvertes » de Karl Popper (The Open Society and Its Ennemies) sont ainsi prises pour cibles par des « sociétés fermées ». Ce manque de cohésion internationale se sert du manque de cohésion, d'unité, de solidarité, nationale pour passer à l'action. La protection des valeurs des régimes libéraux conduit ceux-ci à prendre des mesures liberticides, cédant donc aux tentatives de déstabilisation terroristes. Les régimes libéraux sont amenés à se demander comment conserver une cohésion nationale reposant sur l'affirmation de droits subjectifs et de principes conçus comme universels alors que le terrorisme, protéiforme et impalpable, les utilise pour mieux les renier.

 

Si le terrorisme utilise et exploite les lacunes de la cohésion nationale et internationale, les réactions suscitées par l'urgence et la peur peuvent en exacerber les effets

Depuis l'origine du terrorisme, les zélotes et la secte des Hashashins pour Frédéric Encel (L'Art de la guerre par l'exemple), son but réside en la déstabilisation du pouvoir politique institué en raison d'une contestation, plus ou moins partagée, de son autorité. La cohésion nationale, le partage de valeurs, n'est alors pas présent pour contrecarrer la possibilité du terrorisme. De cette logique découlent les terrorismes régionaux (corse notamment), qui réfutaient l'idée d'une république indivisible, ou les terrorismes politiques (Action Directe), antifascistes par exemple, qui puisaient dans la théorie de la désobéissance civile de John Locke (Second Traité du gouvernement civil) la justification de leurs actions. Toutefois, le partage des valeurs démocratiques au sein des régimes libéraux semble aujourd'hui prévenir ce type de violences. Les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon, bien que souhaitant le passage à une VIème République, jouent le jeu des élections, de même que les partis eurosceptiques proposent des listes européennes.

En revanche, le développement et la puissance de l'affirmation des droits et libertés subjectifs, depuis la Révolution de 1789 puis avec les évolutions consécutives à Mai 1968 (voir Pierre Rosanvallon, Notre histoire intellectuelle et politique), conduisent paradoxalement Pierre Manent à mettre en exergue un large déficit de cohésion nationale et européenne. En effet, dans Situation de la France, il montre que la prégnance de ces droits subjectifs a fait perdre toute notion de bien commun. Cette lacune de « conscience de soi » nationale et européenne fragilise la cohésion nationale et permet à des « sociétés fermées » de trouver des ancrages au sein de nos « sociétés ouvertes ». Ces « sociétés fermées » rejettent par définition les valeurs humanistes universelles prônées par nos sociétés libérales mais se servent des libertés garanties par celles-ci pour les déstabiliser de la même manière que Démosthène le remarquait dans son discours de 355 : « à Ahtènes, il est permis de louer le système politique de Sparte et de dénigrer le sien propre tandis qu'à Sparte, nul ne peut louer aucun autre système que celui de Sparte » (Mogens Hansen, La Démocratie athénienne à l'époque de Démosthène). Ainsi, les terroristes sont de plus en plus souvent des ressortissantes du pays qu'ils ciblent.

 

La peur suscitée par le terrorisme, en particulier commis par un ressortissant national, peut conduire les gouvernements et sociétés à adopter des mesures et des comportements amplifiant le déficit de cohésion. Les attentats du 11 septembre 2001 ont provoqué un virage sécuritaire des démocraties libérales dont Corey Robin s'inquiète dans La Peur.  En effet, les institutions et infrastructures prises sous le coup de la peur et dans l'urgence par crainte de nouvelles attaques sont permanentes et peuvent stigmatiser des franges de la population assimilées de près ou de loin aux auteurs des actes de terrorisme. Les scandales des écoutes téléphoniques de la NSA révélés par Wikileaks témoignent à la fois de la dérive sécuritaire des régimes libéraux ainsi que de l'affaiblissement de l'État de droit (voir en France les difficultés posées au juge administratif pour le contrôle des mesures de restriction de liberté dans le cadre de l'état d'urgence). L'État n'est donc plus le garant de la tranquilité des citoyens mais suscite de la méfiance de la part de ceux-ci (voir Patrick Boucheron et Corey Robin, L'Exercice de la peur). Par conséquent, la distinction entre le bon et le mauvais gouvernement telle que mise en image par Ambrogio Lorenzetti sur les murs de la salle de la paix du palais communal de Sienne en 1328 devient floue.

Par ailleurs, la peur sociale engendrée par la découverte que des terroristes peuvent vivre au sein de la société peut mener à des replis identitaires qui se construisent souvent par opposition à d'autres. Alors que dans Les Suppliantes (Euripide repris d'Eschylle) déjà, Thésée, roi et fondateur d'Athènes, refuse au tyran de Thèbes de lui livrer les femmes d'Argos et fait de l'accueil des pauvres et des persécutés l'apanage de la démocratie, les démocraties libérales deviennent rétives à l'accueil des migrants par crainte qu'ils puissent receler des terroristes ou par peur d'une perte d'identité. De la même manière, ces craintes s'illusrtent par les propositions de déchéance de nationalité pour les individus « fichés S » ou par les tensions autour de la question du rappatriement des femmes et enfants ayant rejoint l'État islamique. Ces derniers restent français même s'ils semblent, les adultes du moins, avoir voté « non » au « plébiscite de tous les jours » constitutif de l'appartenance nationale selon la conception française de la nation (Ernst Renant, « Qu'est-ce que la nation ? »).

De fait, l'institutionnalisation de différences au sein d'une nation affaiblit la cohésion nationale et risque d'engendrer violence et terreur. Le film La Reine Margot de Patrice Chéreau illustre la violence et le ressentiment issu de l'exacerbation de la distinction entre catholiques ou protestants conduisant au massacre de la Saint-Barthélémy de 1572. De même, Jean-Pierre Chrétien et André Guichaoua ont montré que les Hutus, les Tutsis et les Twaes n'ont jamais constitué des ethnies différentes mais étaient en réalité des classes sociales. Les colons allemands puis belges ont institutionnalisés cette segmentation en s'appuyant sur les Tutsis puis sur les Hutus pour asseoir leur domination, ce qui conduira au génocide rwandais de 1994.

 

Le risque de perte de cohésion sociale et d'affailissement de l'État de droit doit être compensé par la restauration ou le fondement d'une unité nouvelle

En souhaitant combattre le risque, les pouvoirs publics risquent de s'enfermer dans une spirale alimentant le risque et un climat de peur et de tension sociale (voir Beck Ulrich, La Société du risque). Il convient donc, pour Patrick Boucheron et Corey Robin  (L'Exercice de la peur) de ne pas alimenter le risque et la peur mais d'en désigner distinctement les raisons ou origines. De la même façon que le décrivait Polybe dans son Histoire à propos de l'empire romain, la cohésion interne peut être assurée par un objectif ou une cible commune qui doit être appréhendée par le pouvoir politique et la société tout en évitant de désigner des cibles secondaires. La tension entre la communauté musulmane et le concept de laïcité en France ne se résume pas à la question -- pourtant prégnante dans les media -- du port du voile mais à l'opposition entre une laïcité conçue comme subjective et l'Islam qui se conçoit plutôt comme une appartenance collective à une règle objective des moeurs. Ainsi, pour Pierre Manent (Situation de la France), chercher à ce que ce culte se réforme revient à nier l'identité de ce collectif tout en alimentant une tension sociale et ne peut donc pas résoudre la question du terrorisme islamiste. En outre, la désignation de l'objectif commun doit être précis et raisonné. La guerre menée par les États-Unis en Irak a initialement fédéré le peuple américain mais la déstabilisation de la région en résultant ainsi que les mensonges portant sur la détention d'armes de destructions massives ont très largement tempéré la cohésion nationale et internationale. De même, aujourd'hui, Graham Allison alerte sur « le piège de Thucydide » pour qui la cause principale de la guerre du Péloponnèse était la peur de la montée en puissance d'Athènes, ce qui pourrait caractériser les relations entre les États-Unis et l'Iran, la Chine ou la Russie.

 

Face au terrorisme et à l'effritement de la cohésion nationale amplifiée par les mesures prises sous le joug de la peur, il est également possible de recréer positivement de la cohésion nationale et internationale. L'atteinte à la liberté de la presse perpétrée par les attentats de Charlie Hebdo a ému des populations du monde entier au travers de marches, de rassemblements de soutien et du hashtag #JeSuisCharlie. Il existe ainsi une cohésion nationale et internationale se manifestant par un partage de valeurs et tendant à confirmer l'intuition des invariants anthropologiques de Marcel Mauss dans son Essai sur le don. Cette communauté de valeur rejoint la thèse développée par Jürgen Habermas dans Après l'État-nation qui doit permettre de combler le déficit de cohésion nationale et européenne voire mondiale et ainsi de réduire la survenance d'actes violentes à l'encontre d'autres origines, croyances ou opinions. Il s'agit cependant de quelque chose à construire et nécessitant une meilleure connaissance du monde et de son histoire comme le rappelle Patrick Boucheron dans sa leçon inaugurale au Collège de France « Ce que peut l'histoire ». Ainsi, pour Patrick Weil (Le Sens de la République), le manque de compatriotisme au sein de la société française provient d'une méconnaissance de l'histoire de France, de sa participation à la colonisation et de sa relation à l'immigration, étroite. De ce fait, une frange de la population croit ne plus reconnaître son pays tandis que l'autre ne se sent jamais pleinement intégrée. De fait, et l'actualité le montre, les deux sont susceptibles de se laisser aller au terrorisme.

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